Coste Rouge - Ailefroide Centrale

Il est deux heures du matin. Le timide faisceau de nos frontales est aspiré par la sombre silhouette des satellites alentours. Avoisinant les 4000 mètres d’altitude, leur masse écrasante nous rappelle l’insignifiance de nos deux petits corps dans cette immensité. La Barre des Ecrins, le Pelvoux, l’Ailefroide… Tant de noms qui ont marqué l’histoire de l’alpinisme et qui résonnent dans la tête de chaque montagnard… Pour moi, s’aventurer sur l’un d’entre eux n'était pas une évidence.
Lorsqu’Hubert m’a proposé de l’accompagner dans Coste Rouge, l’arête nord de l’Ailefroide Centrale, j’ai mis quelque temps avant d’accepter. D’autant qu’il souhaitait le faire à la journée en partant du Pré de Madame Carle (soit une vingtaine d’heure d’effort pour 25km et 2500m de dénivelé). En acceptant sa proposition, je m’engageai à être prête physiquement. Lui le serait, je le savais. 
Coste Rouge - Arête N de l'Ailefroide Centrale
Mes activités printanières ont donc été légèrement modifiées par rapport aux années précédentes : un peu moins de grimpe pour plus de ski de rando, vélo et course à pied. Les temps de pause étaient l’occasion de faire un point sur les conditions en montagne. Composer avec la météo capricieuse n’a pas été une mince affaire. Finalement, nous avons dû décaler le projet initialement prévu fin juin à cause de l’excédent de neige. 
Ce lundi 8 juillet, il était temps de passer à la casserole et de voir si la préparation en amont avait marché. Le peu d’infos dont nous disposions ne nous permettaient pas de savoir dans quel état nous allions trouver l’arête. L’enneigement, excédentaire par rapport à l’année précédente, laissait présager quelques passages mixtes avec un peu de neige et de glace. Nous savions qu’une cordée était passée la semaine d’avant mais n’avions eu aucun retour de leur part. De toutes manières, il fallait aller sur place pour se rendre compte. Laisser passer ce beau créneau météo n’aurait fait que nourrir un sentiment de regret.
Pour mener à bien cette course, la stratégie est simple : partir “light” pour avancer rapidement et terminer la descente avant la tombée de la nuit. Pour cela, chaque gramme est bon à économiser. Les barres avec le meilleur rapport énergie/ poids sont priorisées au détriment des autres. Les mousquetons les plus petits, les vestes les plus légères… Le pari est risqué puisque nous n’avons rien pour bivouaquer. Sur l’itinéraire, aucun échappatoire ne permet de faire demi-tour. Autrement dit, la seule issue est vers le haut et il faudra tenir l’horaire ! 

Sur le sentier d’approche du glacier noir, les doutes et la pression pèsent plus que mon sac à dos. J’ai peur. Je me demande si cela est normal. Tout est austère autour de moi. Mes pensées fusent. Dans l’obscurité, je devine l’énorme glacier suspendu de la face nord de l’Ailefroide qui menace au-dessus de nos têtes. Espérons qu’il patiente encore un peu avant de céder sous son propre poids ! Le fond musical est teinté par la raisonnance des chutes de pierres dans le cirque du glacier noir. Privés de lumière, nous pouvons seulement essayer de deviner de quel côté elles dégringolent. Dans tous les cas, rien ne donne envie de s’éterniser ici. 
Je suis convaincue d’être profondément passionnée par cette activité mais ce feu intérieur est parfois difficile à justifier… même à soi-même. 
Il est 5 heures lorsque nous arrivons au fond du cirque. Gagner l’arête, selon le retour des cordées précédentes, semble être un des points les plus délicats du parcours. Nous comprenons vite pourquoi ! Un mur de sable vertical nous barre la route. 
Hubert ouvre le bal et se fait une bonne frayeur dans ce chaos où rien ne tient. Il désescalade tant bien que mal et part dans un couloir plus à droite où une cascade ruisselle. J’imagine à ce moment-là que les doutes doivent l’envahir à son tour. Il garde le cap et finit par m’assurer. A mon tour d’être trempée ! J’ai connu plus agréable comme mise en jambe, surtout à 5h du matin ! 
Après cette bataille pour atteindre le Col de Coste Rouge, l’arête nous offre un petit moment de répit. Nous savons que la guerre n’est pas finie mais apprécions fortement cette trêve. Le soleil, tant attendu, apparaît comme une délivrance. Nous prenons un petit rythme de croisière, la journée va être longue.

En se relayant tour à tour pour ouvrir la marche, nous économisons nos forces. Certains ressauts couverts de neige et de glace nous donnent du fil à retordre. Même les passages plus faciles demandent de l’attention à cause du caillou intéractif. Nous rattrapons une cordée qui a passé la nuit sur l’arête mais décidons de nous tenir à distance afin d’éviter de prendre un frigo sur la tête ! Quelques passages grimpant sur du granite compact rechargent nos batteries. Le chemin parcouru s’allonge à mesure que nous nous rapprochons du sommet. 
Cela fait 13 heures que nous sommes partis lorsque nous atteignons le sommet. La fatigue commence à se faire sentir mais il va falloir rester lucide pour la descente. J’échange avec mon compagnon de cordée un regard rempli de fierté et de reconnaissance. Aucun mot ne serait à la hauteur de l’instant.
Heureux !!!
Nous sommes au sommet de l’Ailefroide Centrale bordel !! Visible depuis la Bérarde, ce mythe a bercé les nuits estivales de mes 17 ans. Aide gardienne dans cette belle vallée, j’ai levé plus d’une fois les yeux vers lui. L’atteindre par Coste Rouge, et à la journée, dépassent toutes mes espérances ! Mes doutes s’envolent, la pression s’évapore, je me sens plus légère à présent. Le brouillard qui embuait mes pensées se dissipe. Je me souviens alors des motivations profondes qui me poussent à être là-haut, malgré les moments difficiles. Je n’ai pas de mots pour les décrire mais je les sens bouillonner en moi. La montagne est un hymne à l'amitié, une école de la vie. Nulle part ailleurs n’existe de lien aussi fort que celui de la corde entre deux compagnons. Rares sont les personnes qui disposent de ta vie entre leurs mains. Atteindre un sommet n'a de la valeur seulement s'il est partagé en bonne compagnie. Je m'estime chanceuse aujourd'hui, d'avoir partagé cet itinéraire historique avec Hubert. 
La descente s’est déroulée sans encombres. La neige a grandement facilité notre descension. Platrant les cailloux branlants de la face et bouchant les énormes crevasses du glacier de l’Ailefroide, elle nous a permis de rejoindre rapidement les traces du commun des mortels, balisage hautement apprécié après cette aventure hors-sentiers ! 

La montagne est un miroir qui nous renvoie nos failles. Libre à chacun de fermer les yeux ou d'essayer de comprendre. J’aurais pu choisir de renoncer à cette longue et parfois déroutante introspection, repousser les doutes et occulter les peurs. J'ai choisi de m’orienter sur ce chemin mal tracé. Voilà ce qui se cache souvent derrière une “croix” dans un carnet ou un post Intstagram.

Merci à Hubert d'avoir été un si chouette compagnon de route dans ce voyage bien périlleux !


Topo C2C : ici

Couloir de Gaube - Vignemale

Eté 2019 : ascension du toit des Pyrénées françaises par la voie normale. Sous le sommet du Vignemale, Yves et Claude me montrent la sortie du couloir de Gaube, une voie raide et engagée, réservée aux alpinistes expérimentés dixit leurs mots. Ils vantèrent au détour d’une conversation (qu’ils ont sûrement oublié depuis longtemps), les épopées de cet itinéraire historique. A ce moment-là, aussi impressionnée que fascinée, je me suis autorisée à rêver qu’un jour, je figurerai sur la liste des ascensionnistes du Gaube. La graine était plantée…

Depuis ce jour, quelques printemps ont défilé. En constatant les quantités de neige extraordinaire de celui-ci la semaine dernière, ce vieux rêve a ressurgi de façon inattendue. Contre toute attente, tout semblait s’aligner : le créneau, les conditions et la météo. A un détail près que tout mon matos hivernal était dans les Alpes, loin d’imaginer sortir les skis fin mai dans les Pyrénées… Erreur ! 

La première étape a d’abord été de troquer tout le matériel nécessaire contre un grand sourire. La récolte fut fructueuse : skis de maman, piolets et crampons de papa, bâtons de lilou… En ce qui concerne les chaussures de ski, il a fallu choisir entre du 38 et du 42 et quand on fait du 40, le choix est vraiment dur. J’ai finalement opté pour les plus grandes. 

Après avoir vidé les placards de ma maison, j’ai appelé Yannick et Vivien pour leur proposer la sortie. Je savais qu’ils avaient aussi envie d’aller dans le Gaube. Cette étape a été beaucoup plus simple que la précédente puisqu’ils ont tout de suite accepté.

C’est donc de cette manière que je me suis retrouvée cette nuit du 24 mai 2024 à tenter de trouver le sommeil dans le petit dortoir du refuge des Oulettes de Gaube. Ne fermant pas l'œil de la nuit, j’ai eu le temps de réfléchir à ce que j’allais bien pouvoir vous raconter dans cet article. J’ai pensé à vous partager nos doutes quant au fait de partir avec les skis sur le dos pendant que des familles bronzaient au bord du lac de Gaube. J’aurais aussi pu vous raconter l’étonnement de ces mêmes gens en voyant notre allure, ne comprenant pas où nous allions poser les semelles de nos skis à part sur l’herbe… Mais à ce même instant, j’essayais péniblement de tomber dans les bras de Morphée et de penser à rien si ce n’est dormir. Evidemment, je n’ai jamais réussi... Bercée par le concerto de ronflements des uns et des autres, j’ai tenté en vain de baisser le son. Il n’y avait rien à faire contre ce vacarme qui fracassait les décibels. Je ne sais pas si l’union fait la force mais pour sûr, elle fait du bruit ! Le disque défilait sans jamais s’arrêter. Certaines mesures en cœur, d’autres en canon, cette mélodie commençait sérieusement à me taper sur le système. Heureusement pour moi, le réveil a sonné à 2h du mat’ et l’avantage, c’est que je suis vite sortie de mon sommeil !
A partir de ce moment-là, le temps qui jusqu’alors s'étirait, a filé à toute allure. Le regel partiel et les quantités de neige fraîche importante ne nous ont pas facilité la tâche. Heureusement, Yannick a fait office de tracteur-dameuse dans les pentes de neige ! L’avantage, c’est qu’une fois que sa centaine de kilos a écrasé la neige, je ne m’enfonce pas plus dans les traces. 
La première partie est avalée rapidement mais nous brassons énormément dans le deuxième tiers, ce qui ralentit fortement notre progression. Le soleil commence à réchauffer les pentes sommitales et nous recevons en quasi continuité, glace et caillou sur le corps. Il ne faut pas traîner ! 
Au niveau du fameux bloc coincé, je passe devant. Les conditions sont un peu particulières puisqu’il y a à la fois trop de neige pour poser des friends et trop peu de placage pour brocher. Je fais donc du jardinage pour essayer de dégager quelques fissures et me protéger. La dernière longueur est aussi très pauvre en glace. Un fin placage au fond d’une cheminée me permet de sortir sur le glacier d’Ossoue. Les copains me rejoignent, épuisés mais heureux. Les doutes et la pression s’évaporent enfin.

L’émotion est palpable. J’ai tout de suite une pensée pour la discussion entretenue avec Claude et Yves quelques années auparavant. Plus qu’avoir “coché” une voie, je me sens chanceuse d’avoir pu réaliser un rêve de gosse. Je ne me voyais pas vous raconter froidement cette ascension sans vous parler de l’histoire à laquelle elle est rattachée. Mettre à l’honneur ces faiseurs de rêves, passeurs d'histoires, ceux qui ont décroché des étoiles pour me les mettre dans les yeux, est une manière de les remercier. Il y a eu Yves et Claude bien-sûr, mais nombreux sont ceux qui ont entretenu ce feu intérieur, cette quête inexplicable, celle de poursuivre ses rêves.

Merci à mes copains de cordée pour ce week-end, tout ça c’est aussi grâce à vous !
Photo de Grégoire Eloy

📸 Yannick Delqué

Ben Nevis - Aventures écossaises

Ça y est, notre bolide est prêt. Après trois heures de Tetris pour faire rentrer tous nos bagages, chaque recoin de la voiture est exploité. Jusqu’à présent, rien d'extraordinaire pour une veille de vacances… Mais pour une fois, c’est l’air marin qui nous appelle. La recette est simple :

  1. Prenez un groupe de copains
  2. Echangez leurs maillots de bain contre de bonnes Ultrashell® CIMALP
  3. Troquez leurs claquettes contre des paires de crampons
  4. Ajoutez quelques piolets, cordes et bibelots en tout genre
  5. Assaisonnez d’une bonne paire de gants, d’un réchaud et de nouilles chinoises
  6. Saupoudrez d'une bonne dose de courage
  7. Mélangez le tout et le tour est joué !

              Pas besoin de long-courriers ni de jets privés, la Dacia Sandero sera la clef. Notre soif d’aventure (ou l’évaporation de nos finances) nous a poussé à prendre la route depuis la France pour rejoindre l’Ecosse et plus précisément le Ben Nevis. Dans cette aventure follement givrée, Paul et Tim seront mes compagnons de route et de cordée. En chemin, nous faisons la connaissance de Matthieu qui fera également partie de cette drôle de bambée.

              Sur place, un bon p’tit groupe d’alpyrénéens nous attend. Nos soirées promettent d’être animées !

              Pour le moment, 20 heures de conduite nous attendent et il va falloir être créatifs pour les occuper. Parce que les images parlent d’elles-même, Tim a condensé 35 heures de voyage dans un petit court-métrage.

              LE GRAND BAIN

              Arrivés la veille à Ballachulish, nous ne pouvons pas nous retenir d'aller tâter le terrain et découvrir ce massif gelé qui nous fait rêver !

              Il pleut des cordes mais au vu de ce qui est annoncé le reste de la semaine, nous ferons avec. Et puis après tout, les gouttes de pluie n'ont jamais tué personne ! 

              Les écossais l'ont bien compris puisque lorsque nous arrivons sur le parking de la Face Nord du Ben à 9h, nous avons la surprise de découvrir qu'il est plein. Les scottish sont de sortie et nous aussi ! Ce n'est pas commun de partir à altitude 0 avec des piolets et un casque accrochés sur le sac. Pourtant ici, personne ne semble étonné, preuve que nous sommes au bon endroit. Ben Nevis HERE WE GOOOO ! 

              Les deux heures d'approche jusqu'à la CIC Hut permettent à nos jambes de se dérouiller après 1200km entassés entre les bagages. Équipés de nos capes de pluie, nous n'avons jamais été si heureux de marcher sous un temps pareil. Le ciel se déchaîne : pluie et vent se liguent contre nous. Déséquilibrés tantôt à droite, tantôt à gauche, Dame Nature nous souhaite la bienvenue. Le ton est donné.

              Nous sommes impressionnés par les alentours. Aucun arbre à l'horizon. L'herbe verte, dominée par le vent, fouette violemment le sol. L'eau draine les sentiers sans jamais déborder. La cohabitation environnement/climat semble avoir atteint son apogée. Les conditions cataclysmiques contrastent avec l'apaisement émanant de ces lieux encore tant préservés. La montagne est stoïque. En tant que petits grimpeurs fragiles, nous devons trouver notre équilibre dans cette ambivalence aussi déroutante que fascinante.


              GOOD FRIDAY CLIMB

              L'idée est avant tout de prendre nos marques et de découvrir le coin. Pour cela, nous choisissons GOOD FRIDAY CLIMB, une petite goulotte dans INDICATOR WALL.

              La rivière sous la CIC Hut est déchaînée et la traverser n'est pas une mince affaire ! Après ça, nous faisons une pause au chaud pour essorer nos vêtements et s'équiper. 

              Les nuages enveloppent le massif, ce qui ne nous permet pas de voir l'entièreté de la face. Après 1200 mètres d’approche, nous sommes au pied de la goulotte. L’excitation est à son comble. Les premiers coups de pioche retentissent et ont une saveur particulière après tant de kilomètres parcourus. 1h30 plus tard, nous sommes au sommet. Bien loin des montagnes que nous connaissons, l’immense plateau du Ben est recouvert d’une épaisse brume qui nous empêche de distinguer l’horizon, le ciel du sol… Nous sommes tellement chanceux de pouvoir vivre ce moment dès notre première journée ici. Nous voilà en haut du point culminant de l’Ecosse alors que nous étions au bord de la mer ce matin. Trouver la descente est le “crux” de la journée. Sans repères, nous tournons en rond en ayant pourtant l’impression d’aller tout droit. Notre ami Iphigénie finit par nous aider à trouver la descente. Les humeurs du ciel se dégradent et nous malmènent. Un arrêt pique-nique à la CIC Hut sera vécu comme un soulagement. Dans la bonne humeur, nous rentrons tranquillement à la voiture, trempés mais heureux. Il nous faudra plusieurs jours pour faire sécher les affaires.

              En tout cas, c’était un very good tuesday climb !

              TOWER RIDGE 

              Nous revoilà sur le sentier d’approche de la Face Nord du Ben Nevis. Le massif a revêtu son manteau blanc. Nous redécouvrons l’endroit avec autant d’émerveillement que la première fois. 

              Blanchis par la neige, nous poussons la porte de la CIC Hut. Là, écossais, français et suisses s’activent pour aller grimper. Dans ce refuge privé, les places sont chères. Il faut réserver longtemps à l’avance pour espérer avoir un lit. C’est pourtant la seule manière d’éviter de descendre à 0 mètre d’altitude chaque soir pour remonter le lendemain. Avec Tim, nous aurons la chance de toucher au confort de la CIC lundi soir ! En attendant, nous nous armons de patience sur le long sentier d’approche.

              L’arête principale du Ben, TOWER RIDGE, nous fait de l'œil depuis notre arrivée.Le topo a fini par nous convaincre en qualifiant la voie d’une des “plus belles ascensions du Ben Nevis”. Haute de 600 mètres, elle fait partie des plus longues voies du massif.

              Nous ne sommes pas déçus du voyage ! Des ressauts de mixte entrecoupés de pentes de neige, quasiment aucun équipement en place et une ambiance incroyable. 

              Le ciel se déverse sur nous toute la journée. Les températures ont chuté et la pluie a laissé place à la neige. Cette sortie au sommet est semblable à la première. Vent et brouillard nous chassent rapidement du plateau. Nous ne sommes pas près de voir la mer depuis le sommet… Peu importe, le moment demeure magique. L’énorme corniche de Gully 4 (couloir de descente) est la dernière difficulté de la journée. Après ça, nous redescendons dans la vallée pour retrouver le reste de la troupe ! Encore une belle journée avec les copains :)

              RAEBURN’S BUTTRESS ORIGINAL

              Ce matin, le ciel du Ben se surpasse : pas un nuage à l’horizon. Pour la première fois du voyage, la face Nord du Ben est dégagée. Les sommets alentour se dévoilent également. Nous découvrons avec fierté l’imposante arête de Tower Ridge gravie quelques jours auparavant. Pour l’occasion, nous choisissons de partir dans Raeburn’s Buttress Original, une voie mixte de 500 mètres en TD/M5 max. La ligne est visible depuis le bas : un couloir encaissé qui raye la face.

              Dès les premières longueurs, nous nous rendons compte que les cumuls de neige ne nous faciliteront pas la tâche. Tim passe devant pour déblayer le chemin dans les troisième et quatrième longueurs. Se protéger convenablement s’avère être une tâche complexe dans ce terrain (merdique). Eh oui, le mixte écossais, c’est tout un art !

              Au pied de la longueur 4, les belles fissures glacées m’appellent. Je repasse devant. Avant ça, je jette un coup d'œil au topo, chose que je regrette aussitôt : “très difficile”, “passage surplombant”, “impressionnant”... De quoi se mettre dans de bonnes conditions psychologiques et partir sereine. Les encouragements des garçons me portent jusqu’en haut  de la longueur. Tout y passe : ancrages foireux, coincements de corps et rétas baleine. Il paraît que le style est secondaire et que l'important c’est de passer. Ouf… Nous voilà rassurés ! 

              Tim poursuit par une impressionnante traversée qu’il négocie comme un chef. Paul, notre couteau suisse, s’assure de la bonne humeur des troupes. Nous remontons ensuite l’étroite goulotte finale jusqu’en haut. Le crépuscule colore les environs. 

              L’arrivée au sommet est spectaculaire. Le temps s’arrête, la pression s’évacue. Les mots deviennent superflus et seul le bruit du silence règne dans les parages. Aucun nuage n’accroche le sommet et la vue sur la mer est suffisamment rare pour être mentionnée. Noyée dans un océan bleuté, la montagne s’assombrit et nous chasse de ses flancs. Il est temps de rentrer. Cette nuit c'est sûr, nous ferons des rêves glacés !


              POINT FIVE

              Des instants figés, des corps frigorifiés et des vêtements détrempés,

              De la neige feutrée, des lignes lustrées et du brouillard épais,

              Pour la dernière fois, nous évoluons sur cette planète glacée. La chance nous sourit une fois de plus puisque l'approche se fait sous un ciel éclairé par les premières lueurs du jour. Pas le moindre air ne souffle dans le vallon. Pour clôturer le séjour, nous partons dans Point Five avec Tim : un culte des lieux. 

              Nous comprenons vite pourquoi ! Sa ligne, à la fois évidente et encaissée, raye la face Nord du Ben. Nous l'avions repérée dès notre arrivée. 

              Malgré de gros spindrifts dans les premières longueurs, nous profitons de chaque instant. Nos derniers coups de pioches écossais nous permettent d'atteindre une ultime fois le sommet, après un passage mémorable de l’ énorme corniche qui encercle le plateau. Dernier câlin, derniers clichés et dernier pique-nique au sommet.

              Paul et Mat nous attendent en bas, à la CIC Hut. Repas gastronomique au menu : soupe lyophilisée, pâtes chinoises et barres de céréales. La nuit sera plus mouvementée pour eux que pour nous mais nous redescendons tous ensemble le lendemain dans une ambiance apocalyptique. Le séjour se finit comme il a commencé : trempé. La boucle est bouclée.

              EN GUISE DE CONCLUSION

              Mon cher Ben, 

              Nous avons adoré passer quelques temps dans ton réfrigérateur. Nous garderons en mémoire les humeurs de ton ventilateur. 

              Sois-en assuré, ses souvenirs glacés seront pour toujours conservés au frais.

              Nos chemins se séparent pour de nouvelles contrées mais ton sommet reste à jamais gravé. 

              Grâce à toi, on s'est fait des nouveaux copains. Ils sont vraiment givrés et on se marre bien.

              Nous te remercions pour tes lignes glacées et les missions réalisées.

              Qui sait, peut-être qu'un jour on pourra se retrouver... 

              Un grand merci à toute la troupe qui a rendu ce voyage unique. Les relations humaines restent et resteront ce qu'il y a de plus beau dans ces activités de montagne. 

              Merci aussi à Cimalp qui finance une partie du voyage et sans qui rien n'aurait été possible.

              Mention spéciale à Vivien qui a eu la merveilleuse idée de tous nous réunir et à Tim qui a immortalisé ces moments tout au long du séjour.


              Topos C2C des voies réalisées :

              Good Friday Climb

              Tower Ridge

              Raeburn's Buttress Original

              Point Five Gully

               




              Voie Livanos - Aiguille de Sialouze

              Tout a commencé le nez dans un bouquin, à peine éclairé par le faisceau de la lampe de chevet. Manifestement, c'est l'endroit où chaque rêve prend vie. Ce soir-là, l'un d'entre eux était né et n'allait pas tarder à passer au stade de projet.  La graine était plantée...

              L'heureuse élue n'était autre que la voie Livanos à l'aiguille de Sialouze dans le massif des Ecrins. Dans l'ombre de ses voisins quelque peu envahissants, l'Ailefroide et le Pelvoux, ce petit bijou ne revendiquait que timidement son intérêt à être parcouru. Et pourtant, nous n'allions pas être déçus !

              D'après les topos, douze longueurs devaient nous permettre de rejoindre le sommet et il fallait se contenter d'une modeste quinzaine de pitons répartis sur les 350 mètres de grimpe. C'est ensuite en empruntant neuf rappels au centre de la face que nous étions censés rejoindre le pied du glacier du Coup de Sabre. Les prévisions horaires avoisinaient les six ou sept heures de grimpe, auxquelles il fallait ajouter le temps d'approche, celui des rappels et du retour à pied. L'aventure allait être assurée !

              Entraînant Hugo dans cette entreprise, nous décidons de partir en totale autonomie depuis le petit village d'Ailefroide. Chargés comme des mules, s'arrêter au refuge du Sélé ne fût alors pas une option lorsque nous passâmes devant. A un rythme moins rapide que lent, nous rejoignîmes sous le soleil tapant, notre camp de base pour les deux jours à venir. Aux alentours de vingt heures, nos quartiers furent luxueusement montés. 

              Les dernières lueurs du jour nous permirent de déchiffrer la voie et de repérer les passages caractéristiques du lendemain : vire ascendante, dièdre sombre, traversée sous les toits,V+ expo, première longueur-clé, cheminée d'anthologie...

              Dans l'obscurité, le vent s'était invité, anéantissant une bonne fois pour toute nos voeux d'endormissement. La nuit allait être longue...

              A mesure que le jour se levait, le froid laissait place à la douceur des matins d'été. Enthousiamés à l'idée de grimper sans doudounes, nous posâmes nos doigts dans les premières longueurs aux environs de neuf heures. J'ouvris la marche grimpe puis Hugo prit le relais. Les longueurs s'enchainaient rapidement. Le granite, bien que croustillant sous nos chaussons, était d'une qualité remarquable. Parfois, un frisson me parcourait le corps en imaginant les anciens, sans friends ni chaussons, parcourir ces longueurs sans protections dignes de ce nom. L'une d'entre elle me donna particulièrement du fil à retordre : une cheminée bien trop lisse où chaque partie de mon corps avait à un moment ou à un autre, jouer le rôle de coinceur. 

              Coincée dans la cheminée de L11

              Ceci étant dit, je ne regrettai pas une seconde d'être passée devant lorsque je vis Hugo hisser péniblement le sac sous ses jambes. Après cela, les grosses difficultés étaient derrière nous. Une heure plus tard, nous étions au sommet.

              Au sommet, vue sur la majestueuse Ailefroide Orientale

              Le sourire jusqu'aux oreilles, nous n'avions pas été déçus du voyage. Cette immersion dans les entrailles du siècle dernier donnait alors du sens à toutes les heures de grimpe passées en salle cet hiver. L'objectif était simple : devenir juste assez fort pour passer lâchement dans les pas des héros - dont Livanos fait partie - qui nous ont ouvert la voie et constater le courage qu'ils ont eu de s'aventurer dans des faces que nous n'aurions même pas osé regarder.

              Il était maintenant temps de redescendre et de prendre des vacances sur les falaises briançonnaises.



              Traversée de la Meije

              Il est 22h, l’alentour s'enflamme. Nous sommes là, immobiles, plongés dans cette immensité. La journée a été longue mais ce spectacle vaut la peine de lutter encore quelques instants. Les paroles se font rares et nous divaguons dans nos pensées. Pendant 14 heures, nous avons erré entre les refuges du Promontoire et de l’Aigle, sur les arêtes d’une des courses les plus emblématiques des Alpes : la traversée de la Meije. Loin d’être la plus difficile, la Meije fut néanmoins l’un des derniers sommets alpins à avoir été gravi (au bout de la vingt-cinquième tentative !). C’est donc avec un peu d’appréhension et beaucoup d’excitation que nous nous sommes lancés sur cet itinéraire chargé d’histoire. 

              Samedi, le réveil sonne au beau milieu de la nuit. Nous voulons assurer le coup et prendre de la marge pour arriver à temps au refuge de l’aigle. Nous laissons passer les cordées guide/client puis leur enclenchons le pas. Nous nous frayons un chemin dans l’obscurité et avalons les premiers passages clés : pas du Crapaud puis remontée du couloir Duhamel. A l’aube, nous arrivons au pied de la dalle Castelnau.

              Les premières lueurs du matin en fond de toile

              La grimpe devient plus verticale sans jamais être difficile. Kilian et Régis, encordés devant Hugo et moi, nous donnent de précieuses indications sur le cheminement à suivre. Les heures défilent plus vite que ce que nous le voudrions. Au-dessus du glacier carré, la montée jusqu’au Grand Pic s’éternise. Notre pas est lent, les fissures glacées nous obligent à remettre les crampons et la faim gagne peu à peu nos estomacs. C’est dans ces moments-là qu'on se demande ”qu'est-ce qu’on fout là”, qu’on commence à rêver de bières fraîches et de pizzas et que les pensées négatives prennent le pas sur le plaisir. Pourquoi s’infliger cette lutte contre les éléments ? Le froid, le vent, la fatigue, l'essoufflement… Par chance, l’altitude ne me joue pas de tour, contrairement à Hugo et Régis qui doivent en plus gérer des maux de tête ! Se sentir vulnérable et accepter de l’être ne sont pas non plus des sensations agréables. Pourtant, ces coups de moins bien sont quasi inévitables sur des courses aussi longues et il faut réussir à garder le dessus. J’ai le sentiment à ce moment là d’être mise à rude épreuve par ma tête beaucoup plus que par mon corps, de subir la longueur plus que les pas de grimpe.

              Pourtant une fois arrivés au sommet, la satisfaction tire un trait sur tous ces questionnements. On sait de nouveau pourquoi on est là et aussi pourquoi on le fait. Sans effort préalable, l’intensité de ces moments serait moindre à côté de ce qu’ils sont là. Aucun mot n’est utile, seulement un regard, un sourire pour montrer à quel po  int on est fiers d’en être arrivé là. De toute façon, nos rares paroles se perdent, emportées par le vent. Ce “presque 4000”, emblème de la vallée, ne s’est pas facilement laissé approcher !

              Itinéraire du matin

              Nous savons qu’il reste du chemin à parcourir et qu’il ne faut pas s’éterniser ici. Après avoir avalé quelques Haribo gentiment offerts par Kiki, nous nous remettons en route... Par chance, les conditions sur la traversée nous permettent d’avancer rapidement. Le câble de la brèche Zsigmondy est entièrement au-dessus de la neige, ce qui nous évite de tirer des longueurs. Sur le fil de l’arête, la trace a été courageusement faite par les cordées de devant. Les pentes de neige nous font esquiver les rappels de la troisième dent. Nous jouons aux équilibristes au-dessus du vide, mobilisant toute notre attention pour avancer. Le Doigt de Dieu n’est plus si loin. Sa silhouette se noie dans l’infiniment bleu. Le temps n’a plus de valeur absolue, nous confondons les heures en minutes et les minutes en secondes… Là-haut tout s’accélère, s’amplifie et s’intensifie. 

              Le soleil guette notre évolution tout comme les gardiens du refuge de l’Aigle qui nous observent certainement aux jumelles pour s’assurer que tout va bien. Nous foulons le deuxième sommet de la journée, culminant à 3973m. Les environs se dévoilent et nous pouvons enfin pleinement en profiter, délestés de la pression qui pesait sur nos épaules depuis le réveil. Quatre derniers rappels nous ramènent sur le flanc du glacier du Tabuchet. Un petit kilomètre nous sépare maintenant du refuge de l’Aigle. Nous suivons une fois de plus la trace de nos prédécesseurs sans qui cette entreprise n’aurait pas été la même ! 


              Ce week-end marque la fin de nos quatre années de lycée. Le temps avance sans que nous trouvions la pédale pour ralentir la cadence. Apparemment, il est temps de rentrer chez les "grands", de dire au revoir à l'insouciance, bonjour à la conscience. En grandissant, on comprend mieux la vie, les gens… Ah non, en fait on les comprend encore moins ! L'humanité perd sa crédibilité, les normes nous enferment dans des cases qui ne nous parlent pas et le mimétisme devient la seule manière d'exister (ou en tout cas d'être bien jugé).

              Se faire vouvoyer et appeler "Madame", devoir réfléchir à un "métier", avoir une vie sage et bien rangée… Ne plus avoir d'excuses lorsqu'on a du retard ou qu'on a oublié ses papiers…

              On repousse au plus loin possible la vie d'adulte parce que c'est aux antipodes de ce que l'on est.

              Alors si quelqu'un a la solution, du rab de temps ou des potions magiques, qu'il nous tienne au courant ! Qui sait, avec le progrès technique, les personnes qui s'ennuient pourront peut-être bientôt faire un don de temps ! 



              Périple hispanique

              Epreuves du bac dans le rétro, Hugo et moi n’avions qu’une idée en tête en prenant la route cet après-midi : faire le plein de vitamines D. Choisir la destination des vacances est souvent une tâche délicate mais cette fois, l’Espagne était apparue comme une évidence ! Vivre en fonction de la pluie et du beau temps et grimper jusqu’à épuisement, voilà ce qui nous motivait tant !

              La chasse aux infos avait déjà débuté depuis quelque temps. Elle avait d'ailleurs souvent détourné notre attention pendant les révisions. Pour trouver la motivation, nous avions nos techniques ! Il fallait alterner : leçons de Physique, topo de Montrebei, exercices de chimie, dessins de Riglos, dissertations de sciences économiques, photos de Targasonne… Ainsi, la moitié de notre esprit s’était déjà exilée en terre sudiste. 
               
              Le programme était vaguement établi. Nous connaissions les grandes étapes du voyage mais laissions libre court à toutes envies soudaines. Il était néanmoins convenu de débuter les vacances à Targasonne et d’y retrouver Marie, Guillaume, Bastien et les jeunes du club.
              Heureux de débuter les vacances dans ce petit coin de paradis (réputé pour l’escalade de bloc) nous avions hâte d’y être. Quoi de mieux pour Pâques que de se battre sur de gros œufs de granite en si bonne compagnie ? 

              Ces trois jours nous permirent de peaufiner la suite… Certaines voies envisagées furent approuvées par Marie et Bastien, tandis que d’autres se retrouvèrent définitivement rayées de la liste. Quelques nouvelles idées (pour ne pas dire beaucoup) émergèrent. Au final, on pouvait la confondre avec la liste de course hebdomadaire des SERRAR tant elle était longue !

              Forcé de constater que les vacances n’étaient malheureusement pas éternelles, il fallait faire des choix. Nos réflexions mûrirent tranquillement et les grandes lignes du voyage se profilèrent…


              TERRADETS

              Lundi soir, nous passons la frontière. Les dernières lueurs du jour accélèrent les recherches d’un spot pour passer la nuit. Finalement, nous atterrissons au bord du lac du Tremp, seuls devant le soleil qui décline, donnant à l’eau des couleurs orangées. Il ne manquait plus qu’une bonne pizza pour prendre des forces en vue de la suite. Le tableau de bord de la voiture indique 26°C : le printemps est bel et bien là !


              Sur recommandation, nous ouvrons les hostilités dans COLORES : voie calcaire de 200 mètres nichée dans les gorges de Terradets. Dans ces grandes dalles dépourvues de prises, il vaut mieux trouver un micro-pied salvateur que de perdre du temps à chercher des (prises de) mains inexistantes. Dans les longueurs aléatoires du haut, un frisson me parcourt lorsque je pense à Serge qui a réalisé cette même voie en solo intégral (sans corde) quelques années auparavant… 

              Colores (au milieu de la paroi)

              Grimpette au-dessus de l'eau

              MONTREBEI  

              Quelque chose de particulier me lie à cet endroit. Il y a une dizaine d’années (déjà !!!), je passais par là avec ma famille lors de notre traversée des Pyrénées en camping-car. Si la plupart des étapes de notre périple sont depuis bien longtemps enfouies dans les coins les plus reculés de ma mémoire, celle du Congost de Montrebei est sûrement celle qui m’a le plus marquée ! Peut-être pour cette journée en bateau gonflable à travers les gorges où Lilou, Yanis et moi préférions se baigner dans l’eau turquoise que de ramer, laissant les parents, triceps en feu, mener l'embarcation… Ou peut-être encore pour cette autre journée à traverser le Congost à pied, interminable randonnée où pont suspendu, chemin taillé et escalier dans la roche permirent tant bien que mal de nous faire avancer… A cette époque, les falaises qui nous entouraient étaient tellement grandes que les escalader n’était même pas envisageable. Plus tard, les retours de grimpeurs s’étant essayés aux grandes falaises de Montrebei ne vinrent que confirmer ma première impression. Pourtant, Lara essayait depuis quelque temps de m’envoyer au charbon sur ce site mythique et ne manquait aucune occasion pour me le rappeler. Je n’aurais trouvé aucune excuse qui puisse justifier la déviation de Montrebei si ce n’est… la frousse !

              Montrebei présente les plus grandes et plus verticales parois de la Serralada del Montsec, avec ses deux géantes d'une hauteur de 500 m : Paroi d'Aragon et Paroi de Catalogne. Plus de 100 itinéraires d'escalade libre le plus souvent partiellement ou peu équipés, mais aussi des voies d'escalade artificielle.” (source : C2C)

              La première étape a d’abord été de déchiffrer les livres catalans pour comprendre les accès des parkings et des voies. Après une bonne demi-heure de 4x4 (que dis-je, de Scénic) sur une piste cabossée au milieu de nulle part, nous sommes soulagés d’enfin arriver à Prat d’en Lluis, notre camp de base pour les trois prochains jours. 

              Notre nouvelle chambre :)

              Là, toute notion de temps allait disparaître. De l’aube au crépuscule, nous allions disposer de longues heures pour cultiver notre art : chercher les lignes les plus esthétiques (et les plus abordables !), étudier les itinéraires jusqu’à les connaître sur le bout des doigts, se lancer en ouvrant grand les yeux pour trouver le moindre piètre piton et ainsi éviter de se perdre, débusquer les plus belles fissures et y glisser nos plus beaux friends et respirer un grand coup quand le dernier point serait hors-champ… Des heures et des heures à s’exercer, tantôt sous le soleil tapant, tantôt exposés au vent. 

              Les repas ne furent, certes, pas ceux rêvés de tous, mais notre salle à manger était inégalable. Rabiboché au strap, le matelas percé sur lequel nous dormions n’aurait pas non plus fait de jaloux. Pourtant, nos corps semblaient s’habituer à la fermeté du sommier, les nuits passant… L’eau, récupérée à la fontaine du dernier petit village croisé (à plus d’1h30 d’ici) était une denrée rare. Nous avions vingt litres de réserve dont dix d’eau potable. Ainsi, de nombreuses stratégies, plus ou moins efficaces, furent mises en place pour l’économiser.

              Conscients du privilège que nous avions d’évoluer dans un décor comme celui-ci, nous n’aurions troqué pour rien au monde notre place contre un hôtel 5 étoiles ! 


              Dièdre gris

              En pleine forme malgré un brin d'appréhension, nous foulons le sentier du Congost à l’aube. Les souvenirs remontent lorsque je traverse le pont suspendu. Un détail retient néanmoins mon attention. Dans l’obscurité, je m’y prends à deux fois pour m’assurer que ce que je vois est bien réel. L’eau a disparu ! Ce pont qui, autrefois, était indispensable pour traverser la rivière n’a maintenant plus aucune utilité si ce n’est de distraire les randonneurs qui passeraient par là. Quel désastre ! Nous continuons notre route sur le sentier taillé, où nous constatons une fois de plus la baisse drastique du niveau de l’eau dans les gorges. Le constat est frappant. Accablés par la scène, nous poursuivons la balade.

              A 8h, nous sommes au pied de la géante Paret de Catalunya, comme on l’appelle ici. Nous partons pour 400 mètres de grimpe verticale à équiper entièrement. 

              Chaque mètre avalé est une petite victoire, chaque longueur cochée est une bouffée d’oxygène. Les doutes s'amenuisent à mesure que nous progressons. Nous savons tous les deux que la seule issue est par le haut ! Nous gardons ça en tête. 

              Dans la voie, nous faisons la connaissance de Javi et Alfredo, deux catalans pure souche avec qui nous partageons le reste de la journée. Les discussions aux relais nous font oublier l’enjeu. 

              Après neuf heures d’ascension et une petite erreur d’itinéraire, nous sommes enfin sur le plateau sommital. Heureux d’être venu à bout de ce qui, pour nous, fut un beau chantier.

              Quelques jours plus tard, nous migrons vers l’ouest pour finalement échouer un court moment à Riglos et terminer en douceur. Notre attention est évidemment retenue par la trace blanche qui raye la paroi de la Visera : La Fiesta de los Biceps

              Le lendemain, nous sommes surexcités à l’idée de s’élancer dans cette grande classique, sûrement la plus répétée du coin ! Nous prenons le temps de profiter ou plutôt de récupérer entre les longueurs, surtout celles du haut qui déversent de plus en plus. Après avoir enchaîné les 6c, 6c+ et 7a, l’ultime 6a+ aura raison de nous (trois pauses chacun au compteur !!!). Cette voie marque forcément les esprits, plus pour l’ambiance que pour la grimpe en général.

              200 mètres de gaz sous les pieds !

              Le dernier jour, nous jetons notre dévolu sur la Seron-Millan au Pison, une voie de 300m à l’équipement rudimentaire. Un beau voyage dans les entrailles du siècle dernier et des cheminées de conglomérat qui donnent parfois la frousse !

              On se fait petit à côté du Puro (pointe de gauche)

              Se réveiller au petit matin sur le matelas dégonflé,

              Pendant la journée, grimper ou flâner et récupérer,

              Se doucher ensuite à l'eau glacée,

              Élire puis étudier la voie envisagée,

              Manger une bouillie lyophilisée à la nuit tombée,

              Observer les étoiles lorsque prend place l’obscurité,

              Rêver d’aventures rupestres lorsque nos paupières sont fermées,

              Donner des nouvelles quand le réseau nous le permet,

              Et recommencer jusqu'à ce que le temps soit épuisé… 

              Vivement les prochaines vacances !