Soleil Noir - Ordesa

Avec Lara, c’est toujours la même histoire ! Trouver quelques jours en commun sur nos agendas de ministre tient du miracle… Ensuite, on fait tellement de plans qu’ils ne rentrent pas sur la même comète. On part dans tous les sens, on s’éparpille, traversées par un flux continu d’idées en tout genre. Il faut dire que les possibilités sont nombreuses, ce qui ne facilite pas la prise de décision. Falaise ? Grande voie ? Alpi ? Finalement, c’est un premier arrêt à l’Ossau qui nous sert de sas de décompression, le temps de faire le tri.

Soleil Noir - Ordesa

Les deux heures de voiture nous permettent de choisir notre chantier du lendemain. Non sans doutes, nous jetons notre dévolu sur "Soleil Noir", une voie de 500m cotée 7a+ max et non-équipée à la Muraille de Gallinero. 

Après un bivouac express sur les trottoirs du parking d'Ordesa, nous entamons la marche d'approche dans l'obscurité. Heureusement, Lara connaît les lieux comme sa poche : elle a déjà grimpé plusieurs fois dans le coin. C’est même elle qui a insisté pour venir ici. Facile à convaincre, je l’ai suivie sans trop chercher à comprendre pourquoi elle tenait tant à cet endroit.

La veille, nous avions convenu qu'elle ouvrirait la marche grimpe dans la première partie de la voie. Son rôle serait de jouer le GPS pour trouver astucieusement le chemin entre les gros blocs de calcaire orangés. Je prendrai ensuite le relai dans la deuxième moitié et serai chargée de forcer le passage de l'énorme toit. Je poursuivrai par les longueurs suivantes en tentant de ne pas nous égarer. 

La journée s'annonce laborieuse... Au pied de la voie et à la vue du chantier qui nous attend, difficile de ne pas se laisser déstabiliser… Chacune ravale pourtant ses doutes sans les partager à l'autre. Les mots se raréfient, ce qui en dit long sur notre assurance ! Pour compenser, 5kg de matos sont accrochés aux fesses de Lara qui s'élance dans les premières longueurs. 

Arrive le moment où nous ne pouvons plus reculer. Les grandes longueurs en traversée réduisent à néant la possibilité de réchapper. Il va falloir sortir vers le haut, quoiqu'il arrive ! 

Chaque piton croisé – aussi rouillé soit-il – devient un précieux repère. Savoir que d'autres sont passés avant nous a quelque chose de rassurant, même si le toit qui nous surplombe est de plus en plus terrifiant à mesure que nous nous en rapprochons. 
Lara, minuscule sous cet énorme toit

Après une grande inspiration et sans trop réfléchir, je me lance dans l'artif du toit. Finalement bien concentrée et guidée par les conseils de Lara, j'atteins le haut de la longueur et me remet à grimper dans le 6c. Le gaz sous mes pieds me fait serrer démesurément les prises mais le relais arrive heureusement avant que mes avant-bras ne me lâchent ! Oufff le crux est passé. Enfin, nous savons que la journée est loin d'être terminée mais savourons quand même cette petite victoire. 

Ça penche !!!

Il faut reconnaître que l'espèce humaine est parfois difficile à cerner, capable de se mettre elle même dans de drôles de situations (qui plus est pendant les vacances) !!

Les longueurs suivantes, toutes aussi grimpantes les unes que les autres, me donnent du fil à retordre. Après 9 heures sur la paroi, je brûle mes dernières cartouches dans le 6c du haut. Lara reprend le lead dans l'ultime longueur en 5+++. 

La sortie sur le plateau est libératrice, partagées entre la fierté d'avoir mené à bien cette bataille et le soulagement d'en être venues à bout. Nos têtes - cheveux en bataille et cernes jusqu'au cou - en disent long sur la journée que nous venons de passer.

A cet instant, je compris intérieurement l'attachement que Lara portait à ces lieux. Ce genre d’endroit où la magie opère sans qu'on ne comprenne vraiment pourquoi.

Se retrouver encordée à elle a quelque chose de symbolique. C'est en sa compagnie que j'ai fait mes premiers pas à l'Ossau, traversé le Haut-Atlas marocain à pied ou encore saucissonné pour récupérer ses pitons dans les voies oubliées du Caroux. Depuis ces aventures, de l'eau a coulé sous les ponts. Lara a parcouru la planète à vélo tandis que j'ai vadrouillé en quête de verticalité. Les milliers de kilomètres nous séparant ne l’ont pas empêchée d'être présente, à travers ses conseils et ses encouragements. 

Rares sont les cordes qui ne s'usent pas avec le temps. Celle qui nous relie demeure intacte, bravant ce monde fait de mouvements.



Météores - Grèce

Le printemps pointe le bout de son nez depuis quelques semaines, les journées s'allongent et les températures grimpent en flèche. On sort les débardeurs et les shorts, on retourne en falaise et surtout... c'est bientôt les vacances d'avril ! Seulement voilà, la météo fait des siennes en France ; l'excuse parfaite pour s'absenter quelques temps et faire un tour à l'autre bout du continent.

Athènes

En plein cœur de la nuit, nous sommes brutalement catapultés sur le sol grec. Trois petites heures ont suffi pour traverser l'Europe, l'acclimatation est assez soudaine.

L'alphabet grec est aussi indéchiffrable que des hiéroglyphes. Au vu du niveau d'anglais des grecs (proche de zéro) et du nôtre (négatif), arriver à bon port promet d'être une grande aventure !


Les Météores

Après avoir expérimenté les transports en commun grecs, nous débarquons à Kalambaka. Deux kilomètres de marche nous séparent de notre destination finale, nous n'avons jamais été aussi proche ! Boostés par l'excitation, nous filons en direction des Météores.

Le chemin est grandiose ! Des immenses tours de conglomérat, tombées de nulle part, forment un rempart autour du petit village de Kastraki. Nous sommes à la fois fascinés et intimidés à l'idée de grimper ces géants de pierre. L'avantage d'arriver à pied, c'est que nous avons le temps de les apprivoiser.


Entre les monastères perchés aux sommets des falaises, l'odeur de viande grillée qui embaume les quartiers et les tortues qui se baladent dans les rues, le dépaysement est total !

En poussant la porte du restaurant Paradisio, nous rencontrons Vangelis Bastios, le propriétaire des lieux.

Sans le savoir, cette rencontre allait donner une toute autre tournure à notre séjour dans les Météores. 


Vangelis Batsios 

Discret au premier abord, c'est à cet homme que l'on doit la majeure partie des voies dans les Météores. Dès nos premiers échanges, nous nous rendons compte que ce type est une véritable encyclopédie humaine. Il a grandi ici et connaît le coin comme sa poche. Pompier et moniteur d'escalade à ses heures perdues, il a répertorié l'ensemble des voies de la région pour en faire un topo complet et de grande qualité : "Best Of Classics". Autrement dit, il connaît chaque voie par cœur, au spit près.

Après une mise en jambe dans Pillar of Dreams (voie historique du coin) et Efialtis (signée Vangelis), nous décidons de tenter une voie plus ambitieuse. 

Eurêka, 7b max, 200m. Voilà tout ce que l'on sait. 

Elle raye la face du Pixari et trace une ligne directe entre la terre et le ciel. Aucune vire n'offre de moment de répit, c'est raide, plein gaz !

Cette face nous a tapé dans l'œil dès notre arrivée à Kastraki. Aux allures de mini El Cap, elle surplombe le village. Sa raideur écrasante donne le vertige.

Hugo ouvre le bal et part dans la première longueur. A peine a-t-il posé ses doigts sur une prise qu'elle casse net. Ça donne le ton de la journée : nous grimperons sur des œufs ! La qualité médiocre du rocher demande en permanence de la vigilance. Même les longueurs plus faciles requièrent de la concentration, sous peine d'arracher une prise et de finir 15 mètres plus bas...

Deux longueurs en 7b, pas de jaloux : chacun aura le droit au sien, ce qui nous évitera le traditionnel chifoumi.

Chaque mouvement est un pari silencieux. Nous tentons de répartir au mieux la charge sur nos quatre appuis en espérant que rien ne cède. La chute ne fait pas rêver !


Au sommet, la vue s'ouvre sur bon nombre de monastères perchés, spectateurs silencieux de notre élévation.

Nous trouvons le petit carnet des ascensions, glissé dans une boîte au sommet, et y ajoutons nos noms. C'est la tradition ici. La mémoire de chaque tour est contenue dans ces petits calepins d'altitude, que chaque grimpeur s'est occupé de remplir au fil du temps.

Tourner les pages pour remonter les années. Les premières ascensions répertoriées du Pixari datent de 1999 ! Nous nous rendons compte qu'il existe une voie plus facile sur la droite de la face. C'est elle qu'emprunte la plupart des grimpeurs pour atteindre ce sommet. Toutes les ascensions depuis plus de 20 ans tiennent sur quelques pages à peine… Nous prenons conscience de la chance que nous avons d'être ici. Vangelis nous apprendra, le soir venu, que nous sommes les 7èmes répétiteurs d'Eureka. 

Les notes des ouvreurs à l'ouverture

Le panorama sur l'ensemble des Météores est grandiose ! Nous sommes observés par les tours qui encerclent le Pixari. Assis sur les rochers brûlants, nous partageons une barre, un cadeau après ces 4 heures de labeur. Les oiseaux virevoltent au-dessus de nos têtes.

Si le bonheur à l'état pur existe, il pourrait se résumer à ce moment, où le quotidien paraît si loin qu'on ne peut que savourer l'instant présent, le cerveau en "mode off". 

De retour sur la terre ferme, l'odeur des grillades embaume les parages, comme une promesse de réconfort. La nuit sera claire et les étoiles veilleront sur nos deux petits corps fatigués.

L'aventure ici touche à sa fin. Chargés comme des mules, nous quittons les Météores en nous tournant une dernière fois vers cette armée de géants endormis. Il est maintenant temps de découvrir les belles falaises de Kyparissi, dans le Péloponnèse. Cap vers le sud, la tête remplie de souvenirs :)


Marathon des Coupes d'Europe

Part. 1 : Zilina, Slovaquie

Vendredi 22 novembre 2024 :
Le marathon des compétitions est lancé ! Après le championnat de France la semaine dernière, c’est en Slovaquie que nous avons rendez-vous ce week-end. Pas moins de 14 heures de route et 4 pays nous séparent de notre point de chute. Nous partons en comité restreint cette-fois, avec Pack, Mehdi et Basile, mais plus que jamais motivés à ouvrir les hostilités internationales.
Les routes suisses sont bien enneigées mais ça ne semble pas perturber Mehdi, qui conduit avec la délicatesse d’un rugbyman néo-zélandais. Les playlists Deezer défilent, à mesure que les kilomètres s’avalent, sur le poste du minibus.


Samedi 23 novembre 2024 :
Surtout, ne pas se faire aspirer par le stress. Je me répète en boucle ce leitmotiv que le doyen de l'équipe ne cesse jamais de me répéter à l’entraînement : “Pas de place aux doutes”. J’apprends mes voies de qualifications par cœur et tente de me mettre dans une bulle. Cet exercice, que je maîtrise pourtant bien au quotidien, apparaît comme une véritable difficulté. Je lutte contre moi-même. J’ai envie de sourire, de discuter et de rigoler, j’ai envie d’écrire, de lire et de me disperser… mais je reste concentrée. Mon téléphone est éteint. J’ai envie de le rallumer pour lire les messages d’encouragement et de soutien de la famille et des copains… mais il reste éteint et ma concentration demeure intacte.

Je jette un oeil attentif à l’évolution de la team France en essayant de ne pas faire éponge sur leur propre stress. Pour ce point, c’est raté. J’ai une boule au ventre en voyant Pack puis Mehdi grimper, qui finit par se dénouer lorsqu’ils topent leur voie.
Je me sens plutôt bien dans ma grimpe même si le stress me fait serrer les piolets beaucoup plus fort qu’il ne le faudrait. Après les deux voies de qualification, je suis surprise d’apprendre que je passe en finale (8ème et dernière qualifiée). Cette première expérience va être incroyable, l’excitation est à son comble. J’apprends, pour mon plus grand bonheur, que toute la team France est qualifiée en finale. Le boulot est fait, il ne reste plus qu’à profiter ! Au final, je termine à la sixième place de cette première coupe d’europe avec le sentiment d’avoir fait un premier pas de géant dans la cour des grands !

Pack dans sa voie de qualif

Part. 2 : Bern, Suisse

Samedi 30 novembre 2024 :
Si je devais résumer le week-end en quelques mots…
Je choisirais le mot “partage” parce qu’il embellit chaque instant, que ce soit sur le trajet, au moment de grimper ou en fin de soirée.
Je sélectionnerais le mot “soutien” pour ce qu’il a de rassurant. Un message, un regard, une présence… pour se sentir moins seule en isolement.
Je continuerais avec le mot “extraordinaire” pour ce qu’il laisse de souvenirs et le mot “surprise” pour ce qu’il réserve d’inattendu.
J’évoquerais le mot “pression” puisque c’est le jeu de la compétition et le mot “appréhension” qui se passe d’explications.
Je penserais au mot “récompense”, pour son éphémère apaisement, après tant d’heures d’acharnement.
Je mentionnerais le mot “fierté”, si difficile soit-il à éprouver, mais lu dans les yeux de ses alliés.
Je citerais le mot “virgule”, pour la suite qu’elle prescrit
et je conclurais avec le mot “trèfle” pour les bienfaits de ses quatre-feuilles.

En finale de cette deuxième coupe d'Europe. Résultat : 8ème.

Part. 3: Brno, République Tchèque

Vendredi 6 décembre 2024 :
Chaque aventure a son lot de surprises. Celle-ci n’a pas échappé à la règle. Après 15 heures de route, le airbnb initialement réservé nous pose un lapin. C’est ainsi que six épaves - Milan, Basile, Mehdi, Pack et moi - échouèrent dans une salle d’escalade tchèque qui fera office d’hôtel pour la nuit. Sans casserole ni gaz pour faire cuire nos pâtes, le McDonald’s du coin nous sauve la mise. On a connu plus optimisée comme veille de compétitions… Qu’importe, en si bonne compagnie, il peut tout arriver !

Samedi 7 décembre 2024 :
Au réveil, nos visages dépités en disent long sur la nuit que nous venons de passer. Le rhume que j’ai attrapé n’y est pas pour rien, les gars ont eu droit à un concerto nocturne. La journée va être longue !
Chaque voie est un combat durement mené. On se bat tantôt contre la montre, tantôt contre la gravité. Certains regards rassurent et sont souvent les derniers avant de se retrouver seule face au mur. Rester concentrée jusqu’au relais, éviter à tout prix de chuter…
Finalement, une bonne étoile semble m'accompagner puisque je passe encore en finale (de justesse une nouvelle fois). Je me demande bien où je vais puiser l’énergie pour mener à bien l’ultime combat. Quoiqu’il en soit, je suis vraiment reconnaissante de rentrer pour la troisième fois d’affilée dans le carré final et j’en profite doublement pour les copains qui n’ont pas eu cette chance. Une chute prématurée viendra écourter la bataille mais la guerre n’est pas finie. Je rentre plus motivée que jamais. La suite dans une semaine…

Part.4 : Utrecht, Pays-Bas

Samedi 14 décembre
C’est le quatrième week-end d'affilée que nous traversons le continent, en direction du Nord cette fois. Au fil des semaines, le minibus a été déserté (pour cause de maladie, de fatigue ou de panne de réveil) et compte maintenant plus de places vides que de places occupées. Malgré les sous-effectifs, Pack, Mehdi et moi sommes surmotivés à l’idée de boucler de la meilleure des manières la première partie de la saison. Il faut dire que le rythme a été intense, les émotions fortes et les résultats plutôt encourageants. Charline et Pierrot viennent renforcer la team pour l’occasion.
Le mur d’Utrecht est beaucoup plus court que ce que nous avons l’habitude. Les voies sont intenses dès le premier mouvement et ne pardonnent aucun cadeau. Il faut réussir à se mobiliser au bon moment, sous peine de revenir au sol plus rapidement que prévu. Les grimpeurs qui ouvrent le bal en payent les frais. Peu de compétiteurs atteignent le haut des voies. Les voies des garçons comptent des mouvements très aléatoires tandis que celles des filles sont beaucoup plus physiques que d’habitude. La pluie est de la partie mais il en faut plus pour nous décourager. Les grimpeurs défilent chacun leur tour dans leur deux voies de qualification.

A la surprise générale, mon nom figure à la quatrième position sur la fiche de résultats provisoires. Le ticket en finale est pris, il va falloir l’assumer ! Mehdi se qualifie aussi en finale et Pack et Pierrot passe de peu à côté.

La compétition a parfois des airs de roulette russe, aléatoire et injuste pour ceux qui se sont lancés corps et âmes dans cette épopée. Sans rattrapage, ni seconde chance, une erreur est vite arrivée. Ici, pas de sentiments ni de méritocratie. Un chiffre pour prénom et des adversaires pour compagnie.
A la fin, ce ne sont pas les efforts qui sont récompensés mais bien un score sur un papier. Ce monde où le plus méritant peut être dernier et où le moins exemplaire peut briller. On dit “que le meilleur gagne” mais si pour gagner il faut être con-centré, je préfère ne jamais bousculer ce haut de panier.
Mehdi dans la voie de finale

Part.5 : Sunderland, Angleterre

Dimanche 9 décembre

Parce que les photos parlent d’elles-même et que je ne veux pas choisir les mauvais mots pour décrire ce qu’il s’est passé, je m’abstiendrai de commentaires. Les planètes se sont alignées, les heures d’entraînement ont payé, preuve que le dicton “quand on veut, on peut” s’approche de la vérité ! Je prends la deuxième place de cette étape de Coupe d'Europe et monte sur la troisième marche du podium du Classement Général 2024-25.

Merci la vie et merci à toutes les personnes grâce à qui j’en suis là aujourd’hui.



Podium du général

Podium de l'étape de Coupe d'Europe

En guise de conclusion :

Depuis six mois, un bout de chemin a été parcouru. Aussi fou que cela puisse paraître, j’ai atteint les finales de chaque coupe d’europe et me suis battue pour les copains qui n’ont pas toujours eu cette chance. Le retour à la maison est un mélange de soulagement et de nostalgie, après ces montagnes russes émotionnelles. Un condensé d’apprentissages épuisant à gérer et difficile à combiner avec le reste. Il a fallu ruser pour ne pas déserter les bancs de la fac, ou en tout cas pas trop longtemps ! Mon semestre repose sur une vingtaine de jours en présentiel tout au plus, soit beaucoup beaucoup beaucoup de cours à rattraper.

J’ai eu la chance de sillonner les routes de l’Europe avec des personnes extraordinaires. Pays après pays, kilomètre après kilomètre, les centaines de discussions ont effacé les frontières qui nous séparaient encore. J’ai trouvé des amis, des grands frères à qui se confier, et même un deuxième papa sur qui me reposer. Leur compagnie a embellit chaque instant et leur soutien sans faille m’a sans cesse portée, même sous 40° de fièvre !

La compétition est un art que je ne maitrise pas encore, celui d’être présente à l’instant T et de faire taire ses milliards de pensées. C’est un cheminement compliqué. Pour le moment, la tenue de route est fébrile, les pneus sont lisses et les virages glissants. Il faut accepter de lâcher prise sans les lâcher, d’avancer sans se précipiter et de prendre des risques sans tomber. Autant de curseurs difficiles à placer, surtout quand l’expérience manque à l’appel. C’est parfois compliqué d’accepter que le poids des années ne peut pas s’acheter, qu’il faut rivaliser sans les mêmes armes et se battre sans les bienfaits du temps. Tenter de rattraper un wagon parti trop vite.
Dans cette course contre la montre, j’ai la chance d’être épaulée par les meilleurs compagnons de cordée, forgés par les or-âge et les temp-êtes, apaisés pour ne plus rien avoir à prouver. Les mêmes, qui n’ont plus peur de grandir parce qu’ils sont déjà vieux et qui, par milliers, ont des histoires à conter.
Et si cette quête semble utopiste, que les efforts déployés sont disproportionnés pour les fruits récoltés, on ne pourra au moins se reprocher, de ne pas avoir tout donné.

Coste Rouge - Ailefroide Centrale

Il est deux heures du matin. Le timide faisceau de nos frontales est aspiré par la sombre silhouette des satellites alentours. Avoisinant les 4000 mètres d’altitude, leur masse écrasante nous rappelle l’insignifiance de nos deux petits corps dans cette immensité. La Barre des Ecrins, le Pelvoux, l’Ailefroide… Tant de noms qui ont marqué l’histoire de l’alpinisme et qui résonnent dans la tête de chaque montagnard… Pour moi, s’aventurer sur l’un d’entre eux n'était pas une évidence.
Lorsqu’Hubert m’a proposé de l’accompagner dans Coste Rouge, l’arête nord de l’Ailefroide Centrale, j’ai mis quelque temps avant d’accepter. D’autant qu’il souhaitait le faire à la journée en partant du Pré de Madame Carle (soit une vingtaine d’heure d’effort pour 25km et 2500m de dénivelé). En acceptant sa proposition, je m’engageai à être prête physiquement. Lui le serait, je le savais. 
Coste Rouge - Arête N de l'Ailefroide Centrale
Mes activités printanières ont donc été légèrement modifiées par rapport aux années précédentes : un peu moins de grimpe pour plus de ski de rando, vélo et course à pied. Les temps de pause étaient l’occasion de faire un point sur les conditions en montagne. Composer avec la météo capricieuse n’a pas été une mince affaire. Finalement, nous avons dû décaler le projet initialement prévu fin juin à cause de l’excédent de neige. 
Ce lundi 8 juillet, il était temps de passer à la casserole et de voir si la préparation en amont avait marché. Le peu d’infos dont nous disposions ne nous permettaient pas de savoir dans quel état nous allions trouver l’arête. L’enneigement, excédentaire par rapport à l’année précédente, laissait présager quelques passages mixtes avec un peu de neige et de glace. Nous savions qu’une cordée était passée la semaine d’avant mais n’avions eu aucun retour de leur part. De toutes manières, il fallait aller sur place pour se rendre compte. Laisser passer ce beau créneau météo n’aurait fait que nourrir un sentiment de regret.
Pour mener à bien cette course, la stratégie est simple : partir “light” pour avancer rapidement et terminer la descente avant la tombée de la nuit. Pour cela, chaque gramme est bon à économiser. Les barres avec le meilleur rapport énergie/ poids sont priorisées au détriment des autres. Les mousquetons les plus petits, les vestes les plus légères… Le pari est risqué puisque nous n’avons rien pour bivouaquer. Sur l’itinéraire, aucun échappatoire ne permet de faire demi-tour. Autrement dit, la seule issue est vers le haut et il faudra tenir l’horaire ! 

Sur le sentier d’approche du glacier noir, les doutes et la pression pèsent plus que mon sac à dos. J’ai peur. Je me demande si cela est normal. Tout est austère autour de moi. Mes pensées fusent. Dans l’obscurité, je devine l’énorme glacier suspendu de la face nord de l’Ailefroide qui menace au-dessus de nos têtes. Espérons qu’il patiente encore un peu avant de céder sous son propre poids ! Le fond musical est teinté par la raisonnance des chutes de pierres dans le cirque du glacier noir. Privés de lumière, nous pouvons seulement essayer de deviner de quel côté elles dégringolent. Dans tous les cas, rien ne donne envie de s’éterniser ici. 
Je suis convaincue d’être profondément passionnée par cette activité mais ce feu intérieur est parfois difficile à justifier… même à soi-même. 
Il est 5 heures lorsque nous arrivons au fond du cirque. Gagner l’arête, selon le retour des cordées précédentes, semble être un des points les plus délicats du parcours. Nous comprenons vite pourquoi ! Un mur de sable vertical nous barre la route. 
Hubert ouvre le bal et se fait une bonne frayeur dans ce chaos où rien ne tient. Il désescalade tant bien que mal et part dans un couloir plus à droite où une cascade ruisselle. J’imagine à ce moment-là que les doutes doivent l’envahir à son tour. Il garde le cap et finit par m’assurer. A mon tour d’être trempée ! J’ai connu plus agréable comme mise en jambe, surtout à 5h du matin ! 
Après cette bataille pour atteindre le Col de Coste Rouge, l’arête nous offre un petit moment de répit. Nous savons que la guerre n’est pas finie mais apprécions fortement cette trêve. Le soleil, tant attendu, apparaît comme une délivrance. Nous prenons un petit rythme de croisière, la journée va être longue.

En se relayant tour à tour pour ouvrir la marche, nous économisons nos forces. Certains ressauts couverts de neige et de glace nous donnent du fil à retordre. Même les passages plus faciles demandent de l’attention à cause du caillou intéractif. Nous rattrapons une cordée qui a passé la nuit sur l’arête mais décidons de nous tenir à distance afin d’éviter de prendre un frigo sur la tête ! Quelques passages grimpant sur du granite compact rechargent nos batteries. Le chemin parcouru s’allonge à mesure que nous nous rapprochons du sommet. 
Cela fait 13 heures que nous sommes partis lorsque nous atteignons le sommet. La fatigue commence à se faire sentir mais il va falloir rester lucide pour la descente. J’échange avec mon compagnon de cordée un regard rempli de fierté et de reconnaissance. Aucun mot ne serait à la hauteur de l’instant.
Heureux !!!
Nous sommes au sommet de l’Ailefroide Centrale bordel !! Visible depuis la Bérarde, ce mythe a bercé les nuits estivales de mes 17 ans. Aide gardienne dans cette belle vallée, j’ai levé plus d’une fois les yeux vers lui. L’atteindre par Coste Rouge, et à la journée, dépassent toutes mes espérances ! Mes doutes s’envolent, la pression s’évapore, je me sens plus légère à présent. Le brouillard qui embuait mes pensées se dissipe. Je me souviens alors des motivations profondes qui me poussent à être là-haut, malgré les moments difficiles. Je n’ai pas de mots pour les décrire mais je les sens bouillonner en moi. La montagne est un hymne à l'amitié, une école de la vie. Nulle part ailleurs n’existe de lien aussi fort que celui de la corde entre deux compagnons. Rares sont les personnes qui disposent de ta vie entre leurs mains. Atteindre un sommet n'a de la valeur seulement s'il est partagé en bonne compagnie. Je m'estime chanceuse aujourd'hui, d'avoir partagé cet itinéraire historique avec Hubert. 
La descente s’est déroulée sans encombres. La neige a grandement facilité notre descension. Platrant les cailloux branlants de la face et bouchant les énormes crevasses du glacier de l’Ailefroide, elle nous a permis de rejoindre rapidement les traces du commun des mortels, balisage hautement apprécié après cette aventure hors-sentiers ! 

La montagne est un miroir qui nous renvoie nos failles. Libre à chacun de fermer les yeux ou d'essayer de comprendre. J’aurais pu choisir de renoncer à cette longue et parfois déroutante introspection, repousser les doutes et occulter les peurs. J'ai choisi de m’orienter sur ce chemin mal tracé. Voilà ce qui se cache souvent derrière une “croix” dans un carnet ou un post Intstagram.

Merci à Hubert d'avoir été un si chouette compagnon de route dans ce voyage bien périlleux !


Topo C2C : ici

Couloir de Gaube - Vignemale

Eté 2019 : ascension du toit des Pyrénées françaises par la voie normale. Sous le sommet du Vignemale, Yves et Claude me montrent la sortie du couloir de Gaube, une voie raide et engagée, réservée aux alpinistes expérimentés dixit leurs mots. Ils vantèrent au détour d’une conversation (qu’ils ont sûrement oublié depuis longtemps), les épopées de cet itinéraire historique. A ce moment-là, aussi impressionnée que fascinée, je me suis autorisée à rêver qu’un jour, je figurerai sur la liste des ascensionnistes du Gaube. La graine était plantée…

Depuis ce jour, quelques printemps ont défilé. En constatant les quantités de neige extraordinaire de celui-ci la semaine dernière, ce vieux rêve a ressurgi de façon inattendue. Contre toute attente, tout semblait s’aligner : le créneau, les conditions et la météo. A un détail près que tout mon matos hivernal était dans les Alpes, loin d’imaginer sortir les skis fin mai dans les Pyrénées… Erreur ! 

La première étape a d’abord été de troquer tout le matériel nécessaire contre un grand sourire. La récolte fut fructueuse : skis de maman, piolets et crampons de papa, bâtons de lilou… En ce qui concerne les chaussures de ski, il a fallu choisir entre du 38 et du 42 et quand on fait du 40, le choix est vraiment dur. J’ai finalement opté pour les plus grandes. 

Après avoir vidé les placards de ma maison, j’ai appelé Yannick et Vivien pour leur proposer la sortie. Je savais qu’ils avaient aussi envie d’aller dans le Gaube. Cette étape a été beaucoup plus simple que la précédente puisqu’ils ont tout de suite accepté.

C’est donc de cette manière que je me suis retrouvée cette nuit du 24 mai 2024 à tenter de trouver le sommeil dans le petit dortoir du refuge des Oulettes de Gaube. Ne fermant pas l'œil de la nuit, j’ai eu le temps de réfléchir à ce que j’allais bien pouvoir vous raconter dans cet article. J’ai pensé à vous partager nos doutes quant au fait de partir avec les skis sur le dos pendant que des familles bronzaient au bord du lac de Gaube. J’aurais aussi pu vous raconter l’étonnement de ces mêmes gens en voyant notre allure, ne comprenant pas où nous allions poser les semelles de nos skis à part sur l’herbe… Mais à ce même instant, j’essayais péniblement de tomber dans les bras de Morphée et de penser à rien si ce n’est dormir. Evidemment, je n’ai jamais réussi... Bercée par le concerto de ronflements des uns et des autres, j’ai tenté en vain de baisser le son. Il n’y avait rien à faire contre ce vacarme qui fracassait les décibels. Je ne sais pas si l’union fait la force mais pour sûr, elle fait du bruit ! Le disque défilait sans jamais s’arrêter. Certaines mesures en cœur, d’autres en canon, cette mélodie commençait sérieusement à me taper sur le système. Heureusement pour moi, le réveil a sonné à 2h du mat’ et l’avantage, c’est que je suis vite sortie de mon sommeil !
A partir de ce moment-là, le temps qui jusqu’alors s'étirait, a filé à toute allure. Le regel partiel et les quantités de neige fraîche importante ne nous ont pas facilité la tâche. Heureusement, Yannick a fait office de tracteur-dameuse dans les pentes de neige ! L’avantage, c’est qu’une fois que sa centaine de kilos a écrasé la neige, je ne m’enfonce pas plus dans les traces. 
La première partie est avalée rapidement mais nous brassons énormément dans le deuxième tiers, ce qui ralentit fortement notre progression. Le soleil commence à réchauffer les pentes sommitales et nous recevons en quasi continuité, glace et caillou sur le corps. Il ne faut pas traîner ! 
Au niveau du fameux bloc coincé, je passe devant. Les conditions sont un peu particulières puisqu’il y a à la fois trop de neige pour poser des friends et trop peu de placage pour brocher. Je fais donc du jardinage pour essayer de dégager quelques fissures et me protéger. La dernière longueur est aussi très pauvre en glace. Un fin placage au fond d’une cheminée me permet de sortir sur le glacier d’Ossoue. Les copains me rejoignent, épuisés mais heureux. Les doutes et la pression s’évaporent enfin.

L’émotion est palpable. J’ai tout de suite une pensée pour la discussion entretenue avec Claude et Yves quelques années auparavant. Plus qu’avoir “coché” une voie, je me sens chanceuse d’avoir pu réaliser un rêve de gosse. Je ne me voyais pas vous raconter froidement cette ascension sans vous parler de l’histoire à laquelle elle est rattachée. Mettre à l’honneur ces faiseurs de rêves, passeurs d'histoires, ceux qui ont décroché des étoiles pour me les mettre dans les yeux, est une manière de les remercier. Il y a eu Yves et Claude bien-sûr, mais nombreux sont ceux qui ont entretenu ce feu intérieur, cette quête inexplicable, celle de poursuivre ses rêves.

Merci à mes copains de cordée pour ce week-end, tout ça c’est aussi grâce à vous !
Photo de Grégoire Eloy

📸 Yannick Delqué

Ben Nevis - Aventures écossaises

Ça y est, notre bolide est prêt. Après trois heures de Tetris pour faire rentrer tous nos bagages, chaque recoin de la voiture est exploité. Jusqu’à présent, rien d'extraordinaire pour une veille de vacances… Mais pour une fois, c’est l’air marin qui nous appelle. La recette est simple :

  1. Prenez un groupe de copains
  2. Echangez leurs maillots de bain contre de bonnes Ultrashell® CIMALP
  3. Troquez leurs claquettes contre des paires de crampons
  4. Ajoutez quelques piolets, cordes et bibelots en tout genre
  5. Assaisonnez d’une bonne paire de gants, d’un réchaud et de nouilles chinoises
  6. Saupoudrez d'une bonne dose de courage
  7. Mélangez le tout et le tour est joué !

              Pas besoin de long-courriers ni de jets privés, la Dacia Sandero sera la clef. Notre soif d’aventure (ou l’évaporation de nos finances) nous a poussé à prendre la route depuis la France pour rejoindre l’Ecosse et plus précisément le Ben Nevis. Dans cette aventure follement givrée, Paul et Tim seront mes compagnons de route et de cordée. En chemin, nous faisons la connaissance de Matthieu qui fera également partie de cette drôle de bambée.

              Sur place, un bon p’tit groupe d’alpyrénéens nous attend. Nos soirées promettent d’être animées !

              Pour le moment, 20 heures de conduite nous attendent et il va falloir être créatifs pour les occuper. Parce que les images parlent d’elles-même, Tim a condensé 35 heures de voyage dans un petit court-métrage.

              LE GRAND BAIN

              Arrivés la veille à Ballachulish, nous ne pouvons pas nous retenir d'aller tâter le terrain et découvrir ce massif gelé qui nous fait rêver !

              Il pleut des cordes mais au vu de ce qui est annoncé le reste de la semaine, nous ferons avec. Et puis après tout, les gouttes de pluie n'ont jamais tué personne ! 

              Les écossais l'ont bien compris puisque lorsque nous arrivons sur le parking de la Face Nord du Ben à 9h, nous avons la surprise de découvrir qu'il est plein. Les scottish sont de sortie et nous aussi ! Ce n'est pas commun de partir à altitude 0 avec des piolets et un casque accrochés sur le sac. Pourtant ici, personne ne semble étonné, preuve que nous sommes au bon endroit. Ben Nevis HERE WE GOOOO ! 

              Les deux heures d'approche jusqu'à la CIC Hut permettent à nos jambes de se dérouiller après 1200km entassés entre les bagages. Équipés de nos capes de pluie, nous n'avons jamais été si heureux de marcher sous un temps pareil. Le ciel se déchaîne : pluie et vent se liguent contre nous. Déséquilibrés tantôt à droite, tantôt à gauche, Dame Nature nous souhaite la bienvenue. Le ton est donné.

              Nous sommes impressionnés par les alentours. Aucun arbre à l'horizon. L'herbe verte, dominée par le vent, fouette violemment le sol. L'eau draine les sentiers sans jamais déborder. La cohabitation environnement/climat semble avoir atteint son apogée. Les conditions cataclysmiques contrastent avec l'apaisement émanant de ces lieux encore tant préservés. La montagne est stoïque. En tant que petits grimpeurs fragiles, nous devons trouver notre équilibre dans cette ambivalence aussi déroutante que fascinante.


              GOOD FRIDAY CLIMB

              L'idée est avant tout de prendre nos marques et de découvrir le coin. Pour cela, nous choisissons GOOD FRIDAY CLIMB, une petite goulotte dans INDICATOR WALL.

              La rivière sous la CIC Hut est déchaînée et la traverser n'est pas une mince affaire ! Après ça, nous faisons une pause au chaud pour essorer nos vêtements et s'équiper. 

              Les nuages enveloppent le massif, ce qui ne nous permet pas de voir l'entièreté de la face. Après 1200 mètres d’approche, nous sommes au pied de la goulotte. L’excitation est à son comble. Les premiers coups de pioche retentissent et ont une saveur particulière après tant de kilomètres parcourus. 1h30 plus tard, nous sommes au sommet. Bien loin des montagnes que nous connaissons, l’immense plateau du Ben est recouvert d’une épaisse brume qui nous empêche de distinguer l’horizon, le ciel du sol… Nous sommes tellement chanceux de pouvoir vivre ce moment dès notre première journée ici. Nous voilà en haut du point culminant de l’Ecosse alors que nous étions au bord de la mer ce matin. Trouver la descente est le “crux” de la journée. Sans repères, nous tournons en rond en ayant pourtant l’impression d’aller tout droit. Notre ami Iphigénie finit par nous aider à trouver la descente. Les humeurs du ciel se dégradent et nous malmènent. Un arrêt pique-nique à la CIC Hut sera vécu comme un soulagement. Dans la bonne humeur, nous rentrons tranquillement à la voiture, trempés mais heureux. Il nous faudra plusieurs jours pour faire sécher les affaires.

              En tout cas, c’était un very good tuesday climb !

              TOWER RIDGE 

              Nous revoilà sur le sentier d’approche de la Face Nord du Ben Nevis. Le massif a revêtu son manteau blanc. Nous redécouvrons l’endroit avec autant d’émerveillement que la première fois. 

              Blanchis par la neige, nous poussons la porte de la CIC Hut. Là, écossais, français et suisses s’activent pour aller grimper. Dans ce refuge privé, les places sont chères. Il faut réserver longtemps à l’avance pour espérer avoir un lit. C’est pourtant la seule manière d’éviter de descendre à 0 mètre d’altitude chaque soir pour remonter le lendemain. Avec Tim, nous aurons la chance de toucher au confort de la CIC lundi soir ! En attendant, nous nous armons de patience sur le long sentier d’approche.

              L’arête principale du Ben, TOWER RIDGE, nous fait de l'œil depuis notre arrivée.Le topo a fini par nous convaincre en qualifiant la voie d’une des “plus belles ascensions du Ben Nevis”. Haute de 600 mètres, elle fait partie des plus longues voies du massif.

              Nous ne sommes pas déçus du voyage ! Des ressauts de mixte entrecoupés de pentes de neige, quasiment aucun équipement en place et une ambiance incroyable. 

              Le ciel se déverse sur nous toute la journée. Les températures ont chuté et la pluie a laissé place à la neige. Cette sortie au sommet est semblable à la première. Vent et brouillard nous chassent rapidement du plateau. Nous ne sommes pas près de voir la mer depuis le sommet… Peu importe, le moment demeure magique. L’énorme corniche de Gully 4 (couloir de descente) est la dernière difficulté de la journée. Après ça, nous redescendons dans la vallée pour retrouver le reste de la troupe ! Encore une belle journée avec les copains :)

              RAEBURN’S BUTTRESS ORIGINAL

              Ce matin, le ciel du Ben se surpasse : pas un nuage à l’horizon. Pour la première fois du voyage, la face Nord du Ben est dégagée. Les sommets alentour se dévoilent également. Nous découvrons avec fierté l’imposante arête de Tower Ridge gravie quelques jours auparavant. Pour l’occasion, nous choisissons de partir dans Raeburn’s Buttress Original, une voie mixte de 500 mètres en TD/M5 max. La ligne est visible depuis le bas : un couloir encaissé qui raye la face.

              Dès les premières longueurs, nous nous rendons compte que les cumuls de neige ne nous faciliteront pas la tâche. Tim passe devant pour déblayer le chemin dans les troisième et quatrième longueurs. Se protéger convenablement s’avère être une tâche complexe dans ce terrain (merdique). Eh oui, le mixte écossais, c’est tout un art !

              Au pied de la longueur 4, les belles fissures glacées m’appellent. Je repasse devant. Avant ça, je jette un coup d'œil au topo, chose que je regrette aussitôt : “très difficile”, “passage surplombant”, “impressionnant”... De quoi se mettre dans de bonnes conditions psychologiques et partir sereine. Les encouragements des garçons me portent jusqu’en haut  de la longueur. Tout y passe : ancrages foireux, coincements de corps et rétas baleine. Il paraît que le style est secondaire et que l'important c’est de passer. Ouf… Nous voilà rassurés ! 

              Tim poursuit par une impressionnante traversée qu’il négocie comme un chef. Paul, notre couteau suisse, s’assure de la bonne humeur des troupes. Nous remontons ensuite l’étroite goulotte finale jusqu’en haut. Le crépuscule colore les environs. 

              L’arrivée au sommet est spectaculaire. Le temps s’arrête, la pression s’évacue. Les mots deviennent superflus et seul le bruit du silence règne dans les parages. Aucun nuage n’accroche le sommet et la vue sur la mer est suffisamment rare pour être mentionnée. Noyée dans un océan bleuté, la montagne s’assombrit et nous chasse de ses flancs. Il est temps de rentrer. Cette nuit c'est sûr, nous ferons des rêves glacés !


              POINT FIVE

              Des instants figés, des corps frigorifiés et des vêtements détrempés,

              De la neige feutrée, des lignes lustrées et du brouillard épais,

              Pour la dernière fois, nous évoluons sur cette planète glacée. La chance nous sourit une fois de plus puisque l'approche se fait sous un ciel éclairé par les premières lueurs du jour. Pas le moindre air ne souffle dans le vallon. Pour clôturer le séjour, nous partons dans Point Five avec Tim : un culte des lieux. 

              Nous comprenons vite pourquoi ! Sa ligne, à la fois évidente et encaissée, raye la face Nord du Ben. Nous l'avions repérée dès notre arrivée. 

              Malgré de gros spindrifts dans les premières longueurs, nous profitons de chaque instant. Nos derniers coups de pioches écossais nous permettent d'atteindre une ultime fois le sommet, après un passage mémorable de l’ énorme corniche qui encercle le plateau. Dernier câlin, derniers clichés et dernier pique-nique au sommet.

              Paul et Mat nous attendent en bas, à la CIC Hut. Repas gastronomique au menu : soupe lyophilisée, pâtes chinoises et barres de céréales. La nuit sera plus mouvementée pour eux que pour nous mais nous redescendons tous ensemble le lendemain dans une ambiance apocalyptique. Le séjour se finit comme il a commencé : trempé. La boucle est bouclée.

              EN GUISE DE CONCLUSION

              Mon cher Ben, 

              Nous avons adoré passer quelques temps dans ton réfrigérateur. Nous garderons en mémoire les humeurs de ton ventilateur. 

              Sois-en assuré, ses souvenirs glacés seront pour toujours conservés au frais.

              Nos chemins se séparent pour de nouvelles contrées mais ton sommet reste à jamais gravé. 

              Grâce à toi, on s'est fait des nouveaux copains. Ils sont vraiment givrés et on se marre bien.

              Nous te remercions pour tes lignes glacées et les missions réalisées.

              Qui sait, peut-être qu'un jour on pourra se retrouver... 

              Un grand merci à toute la troupe qui a rendu ce voyage unique. Les relations humaines restent et resteront ce qu'il y a de plus beau dans ces activités de montagne. 

              Merci aussi à Cimalp qui finance une partie du voyage et sans qui rien n'aurait été possible.

              Mention spéciale à Vivien qui a eu la merveilleuse idée de tous nous réunir et à Tim qui a immortalisé ces moments tout au long du séjour.


              Topos C2C des voies réalisées :

              Good Friday Climb

              Tower Ridge

              Raeburn's Buttress Original

              Point Five Gully