Périple hispanique

Epreuves du bac dans le rétro, Hugo et moi n’avions qu’une idée en tête en prenant la route cet après-midi : faire le plein de vitamines D. Choisir la destination des vacances est souvent une tâche délicate mais cette fois, l’Espagne était apparue comme une évidence ! Vivre en fonction de la pluie et du beau temps et grimper jusqu’à épuisement, voilà ce qui nous motivait tant !

La chasse aux infos avait déjà débuté depuis quelque temps. Elle avait d'ailleurs souvent détourné notre attention pendant les révisions. Pour trouver la motivation, nous avions nos techniques ! Il fallait alterner : leçons de Physique, topo de Montrebei, exercices de chimie, dessins de Riglos, dissertations de sciences économiques, photos de Targasonne… Ainsi, la moitié de notre esprit s’était déjà exilée en terre sudiste. 
 
Le programme était vaguement établi. Nous connaissions les grandes étapes du voyage mais laissions libre court à toutes envies soudaines. Il était néanmoins convenu de débuter les vacances à Targasonne et d’y retrouver Marie, Guillaume, Bastien et les jeunes du club.
Heureux de débuter les vacances dans ce petit coin de paradis (réputé pour l’escalade de bloc) nous avions hâte d’y être. Quoi de mieux pour Pâques que de se battre sur de gros œufs de granite en si bonne compagnie ? 

Ces trois jours nous permirent de peaufiner la suite… Certaines voies envisagées furent approuvées par Marie et Bastien, tandis que d’autres se retrouvèrent définitivement rayées de la liste. Quelques nouvelles idées (pour ne pas dire beaucoup) émergèrent. Au final, on pouvait la confondre avec la liste de course hebdomadaire des SERRAR tant elle était longue !

Forcé de constater que les vacances n’étaient malheureusement pas éternelles, il fallait faire des choix. Nos réflexions mûrirent tranquillement et les grandes lignes du voyage se profilèrent…


TERRADETS

Lundi soir, nous passons la frontière. Les dernières lueurs du jour accélèrent les recherches d’un spot pour passer la nuit. Finalement, nous atterrissons au bord du lac du Tremp, seuls devant le soleil qui décline, donnant à l’eau des couleurs orangées. Il ne manquait plus qu’une bonne pizza pour prendre des forces en vue de la suite. Le tableau de bord de la voiture indique 26°C : le printemps est bel et bien là !


Sur recommandation, nous ouvrons les hostilités dans COLORES : voie calcaire de 200 mètres nichée dans les gorges de Terradets. Dans ces grandes dalles dépourvues de prises, il vaut mieux trouver un micro-pied salvateur que de perdre du temps à chercher des (prises de) mains inexistantes. Dans les longueurs aléatoires du haut, un frisson me parcourt lorsque je pense à Serge qui a réalisé cette même voie en solo intégral (sans corde) quelques années auparavant… 

Colores (au milieu de la paroi)

Grimpette au-dessus de l'eau

MONTREBEI  

Quelque chose de particulier me lie à cet endroit. Il y a une dizaine d’années (déjà !!!), je passais par là avec ma famille lors de notre traversée des Pyrénées en camping-car. Si la plupart des étapes de notre périple sont depuis bien longtemps enfouies dans les coins les plus reculés de ma mémoire, celle du Congost de Montrebei est sûrement celle qui m’a le plus marquée ! Peut-être pour cette journée en bateau gonflable à travers les gorges où Lilou, Yanis et moi préférions se baigner dans l’eau turquoise que de ramer, laissant les parents, triceps en feu, mener l'embarcation… Ou peut-être encore pour cette autre journée à traverser le Congost à pied, interminable randonnée où pont suspendu, chemin taillé et escalier dans la roche permirent tant bien que mal de nous faire avancer… A cette époque, les falaises qui nous entouraient étaient tellement grandes que les escalader n’était même pas envisageable. Plus tard, les retours de grimpeurs s’étant essayés aux grandes falaises de Montrebei ne vinrent que confirmer ma première impression. Pourtant, Lara essayait depuis quelque temps de m’envoyer au charbon sur ce site mythique et ne manquait aucune occasion pour me le rappeler. Je n’aurais trouvé aucune excuse qui puisse justifier la déviation de Montrebei si ce n’est… la frousse !

Montrebei présente les plus grandes et plus verticales parois de la Serralada del Montsec, avec ses deux géantes d'une hauteur de 500 m : Paroi d'Aragon et Paroi de Catalogne. Plus de 100 itinéraires d'escalade libre le plus souvent partiellement ou peu équipés, mais aussi des voies d'escalade artificielle.” (source : C2C)

La première étape a d’abord été de déchiffrer les livres catalans pour comprendre les accès des parkings et des voies. Après une bonne demi-heure de 4x4 (que dis-je, de Scénic) sur une piste cabossée au milieu de nulle part, nous sommes soulagés d’enfin arriver à Prat d’en Lluis, notre camp de base pour les trois prochains jours. 

Notre nouvelle chambre :)

Là, toute notion de temps allait disparaître. De l’aube au crépuscule, nous allions disposer de longues heures pour cultiver notre art : chercher les lignes les plus esthétiques (et les plus abordables !), étudier les itinéraires jusqu’à les connaître sur le bout des doigts, se lancer en ouvrant grand les yeux pour trouver le moindre piètre piton et ainsi éviter de se perdre, débusquer les plus belles fissures et y glisser nos plus beaux friends et respirer un grand coup quand le dernier point serait hors-champ… Des heures et des heures à s’exercer, tantôt sous le soleil tapant, tantôt exposés au vent. 

Les repas ne furent, certes, pas ceux rêvés de tous, mais notre salle à manger était inégalable. Rabiboché au strap, le matelas percé sur lequel nous dormions n’aurait pas non plus fait de jaloux. Pourtant, nos corps semblaient s’habituer à la fermeté du sommier, les nuits passant… L’eau, récupérée à la fontaine du dernier petit village croisé (à plus d’1h30 d’ici) était une denrée rare. Nous avions vingt litres de réserve dont dix d’eau potable. Ainsi, de nombreuses stratégies, plus ou moins efficaces, furent mises en place pour l’économiser.

Conscients du privilège que nous avions d’évoluer dans un décor comme celui-ci, nous n’aurions troqué pour rien au monde notre place contre un hôtel 5 étoiles ! 


Dièdre gris

En pleine forme malgré un brin d'appréhension, nous foulons le sentier du Congost à l’aube. Les souvenirs remontent lorsque je traverse le pont suspendu. Un détail retient néanmoins mon attention. Dans l’obscurité, je m’y prends à deux fois pour m’assurer que ce que je vois est bien réel. L’eau a disparu ! Ce pont qui, autrefois, était indispensable pour traverser la rivière n’a maintenant plus aucune utilité si ce n’est de distraire les randonneurs qui passeraient par là. Quel désastre ! Nous continuons notre route sur le sentier taillé, où nous constatons une fois de plus la baisse drastique du niveau de l’eau dans les gorges. Le constat est frappant. Accablés par la scène, nous poursuivons la balade.

A 8h, nous sommes au pied de la géante Paret de Catalunya, comme on l’appelle ici. Nous partons pour 400 mètres de grimpe verticale à équiper entièrement. 

Chaque mètre avalé est une petite victoire, chaque longueur cochée est une bouffée d’oxygène. Les doutes s'amenuisent à mesure que nous progressons. Nous savons tous les deux que la seule issue est par le haut ! Nous gardons ça en tête. 

Dans la voie, nous faisons la connaissance de Javi et Alfredo, deux catalans pure souche avec qui nous partageons le reste de la journée. Les discussions aux relais nous font oublier l’enjeu. 

Après neuf heures d’ascension et une petite erreur d’itinéraire, nous sommes enfin sur le plateau sommital. Heureux d’être venu à bout de ce qui, pour nous, fut un beau chantier.

Quelques jours plus tard, nous migrons vers l’ouest pour finalement échouer un court moment à Riglos et terminer en douceur. Notre attention est évidemment retenue par la trace blanche qui raye la paroi de la Visera : La Fiesta de los Biceps

Le lendemain, nous sommes surexcités à l’idée de s’élancer dans cette grande classique, sûrement la plus répétée du coin ! Nous prenons le temps de profiter ou plutôt de récupérer entre les longueurs, surtout celles du haut qui déversent de plus en plus. Après avoir enchaîné les 6c, 6c+ et 7a, l’ultime 6a+ aura raison de nous (trois pauses chacun au compteur !!!). Cette voie marque forcément les esprits, plus pour l’ambiance que pour la grimpe en général.

200 mètres de gaz sous les pieds !

Le dernier jour, nous jetons notre dévolu sur la Seron-Millan au Pison, une voie de 300m à l’équipement rudimentaire. Un beau voyage dans les entrailles du siècle dernier et des cheminées de conglomérat qui donnent parfois la frousse !

On se fait petit à côté du Puro (pointe de gauche)

Se réveiller au petit matin sur le matelas dégonflé,

Pendant la journée, grimper ou flâner et récupérer,

Se doucher ensuite à l'eau glacée,

Élire puis étudier la voie envisagée,

Manger une bouillie lyophilisée à la nuit tombée,

Observer les étoiles lorsque prend place l’obscurité,

Rêver d’aventures rupestres lorsque nos paupières sont fermées,

Donner des nouvelles quand le réseau nous le permet,

Et recommencer jusqu'à ce que le temps soit épuisé… 

Vivement les prochaines vacances !