Classe blanche en Maurienne

"Prenez une salle de classe ordinaire et ouvrez grand les fenêtres. Le vent envoie alors valser la moindre feuille de cours qui traîne sur les bureaux. Les rafales vous obligent à retirer les tables et les chaises de la salle. Par sécurité, vous équipez vos élèves de casques et de masques pour les protéger des projections de stylos et de craies qui pourraient survenir à tout moment. Des grosses doudounes et des gants chauds leur sont aussi distribués pour résister au froid qui envahit aussitôt les lieux. Il est à ce moment là préférable de troquer les sacs de cours pour de bons gros sacs de montagne ! 

Malgré votre acharnement, l'imprimante fait aussi des siennes et refuse délibérément d'imprimer la leçon du jour. Pire que cela, elle crache instantanément une vingtaine de cartes bizarres et illisibles, remplies de traits et de couleurs qui piquent les yeux et donnent le tournis. Il faudra faire avec...

A ce moment même, vos élèves ont déjà la tête pleine d'idées ! Comptez sur leur créativité pour vous épater..."

Voilà ce que s'imaginent les gens lorsqu'ils voient débouler devant eux, une classe (que dis-je, un troupeau !) de vingt ados au fin fond de la Maurienne. Nous voyant remonter les pistes de la station d'Aussoi en ski de randonnée, ce scénario se trouve être le plus probable dans l'imaginaire (très) créatif des gens.

Pourtant, c'est une journée hivernale des plus banales pour notre section. Nous chaussons les skis pendant que d'autres préparent leur bac. Chacun ses choix :)

Le sujet n'est pas là et il faut dire que ma préoccupation première est tout autre... Il parraît que,  d'après les dires objectifs des Tarins, la Maurienne (vallée voisine) est considérée comme le "côté obscur" de la Vanoise. Cette doctrine se doit d'être réfutée... Je vous laisse vous faire votre avis en regardant les belles photos de Timothée, photographe en devenir. 

Lundi 21 mars 2022

Le refuge de la Dent Parrachée est la première étape de notre raid. A peine les skis aux pieds, l'excitation bat son plein et est comparable à une veille de vacances. Les poids des sacs, chargés pour quatre jours, nous font vite redescendre mais rien ne vient altérer la bonne humeur collective. Rapidement, nous croisons quelques skieurs à sens inverse mais le manque de neige a ralenti considérablement l'activité. Résultat des courses : nous sommes quasi seuls, remontant les pistes de ski alpin, pendant que des dizaines de télésièges fonctionnent autour de nous sans qu'une place ne soit occupée... Sacré sport ! Il faut reconnaître que nous avons le temps de discuter de tout et de rien, de partager nos dernières aventures montagnardes ou encore de parler de nos futurs projets.  Finalement, la rando qui s'annonçait longue ne l'est plus assez pour nous faire taire...

Arrivés au refuge, une révision des manips s'impose en prévision du lendemain. Noeuds et encordements sont passés au peigne fin même si avec Pascal, notre guide pour cette semaine, les peignes sont plutôt épais !

Suite à cela, nous envahissons les lieux et le gardien commence déjà à regretter le fait qu'on nous ait mis sur sa route ;) Chacun se précipite pour avoir la plus belle place, le meilleur lit ou la plus grosse couverture. Quoiqu'il en soit, ce refuge a tout d'un hôtel de luxe. A un détail près... Le tuyau qui alimente le refuge en eau à geler !


Mardi 22 mars 2022

Après une bonne nuit de sommeil, il est grand temps de visiter les alentours. Aujourd'hui, nous atteindrons le col du Moine par le lac du Génépy. Là, une petite course d'arête située juste au-dessus nous occupera pour le restant de l'après-midi. En guise d'échauffement, le gardien nous confie une mission : monter les 10 bidons vides à la source, cent mètres en contre-haut du refuge, pour rapporter de l'eau ce soir pour le repas. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Voilà que dix bidons se retrouvent accrochés autour de Milan et n'attendent plus qu'à être tracté.



Toute la troupe prend un petit rythme au fil du dénivelé avalé. Le dicton "doucement mais sûrement" est fait sur mesure pour nous ! Quelques haltes au cours desquelles nous mettons, enlevons, remettons, ré-enlevons... les couteaux, permettent à Pascal de philosopher sur le sens de la vie et de nous entraîner dans sa révolte contre la société, la politique et tout ce qui prête à débat. La pente se redresse légèrement sous le col et c'est à la file indienne que nous continuons de progresser. Le vent indique la direction : plus ça souffle, plus on se rapproche ! Nous déposons les skis sous l'arête et débutons la grimpette encordée. S'il y a bien une leçon à tirer de cette situation, c'est de ne jamais sous-estimer l'INERTIE de groupe ! Tels des himalayistes sur l'arête sommitale du K2, nous progressons pas à pas (avec un certain temps entre chaque pas). Nous arrivons tout de même au sommet que nous baptisons à l'unanimité "pointe de la section".



Sur le retour, l'un d'entre nous a le malheur d'ouvrir sa bouche : "Eh si on skiait encordés ?!". Pascal en profite aussitôt pour rebondir sur cette proposition initialement remplie de second degré : "Ah oui super idée, c'est très important de savoir skier encordé. Allez faites les cordées...". Moment de flottement dans l'équipe... "Non on ne va quand même pas faire ça ???" pensons nous tous silencieusement dans nos têtes... Et si, Pascal l'imprévisible a encore frappé !

Après cette expérience quelque peu inhabituelle, nous remplissons les bidons d'eau déposés quelques heures plus tôt au réservoir. De retour au refuge, l'odeur alléchante des crêpes a réveillé notre appétit... Il n'a pas fallu plus de dix minutes pour que chacun est rangé l'intégralité de son matériel et se retrouve à faire la queue. Quelle bande de morfales ! Le gardien s'apprête à faire son meilleur chiffre d'affaires en une après-midi.

Mercredi 23 mars 2022

Les sacs remplis à bloc, nous décollons du refuge de la Dent Parrachée en file indienne. Une dernière pensée pour ce joli refuge traverse mon esprit puis il est déjà l'heure de penser au suivant, celui de ce soir : le refuge du Fond d'Aussoi. Il y a pourtant encore du trajet avant d'être à ce soir ! Le Grand Roc nous attend et nous ne tardons pas à planifier notre itinéraire. Quoique... Avec Pascal, une décision doit appartenir au groupe et dieu sait que la démocratie prend du temps. En section montagne, il faut croire que nous avons un penchant pour les régimes totalitaires... Les désaccords se règlent à coups de piolets. Mieux vaut donc s'accorder avec ceux qui ont des lames affûtées ! 

Un débat interminable et trois onglets plus tard, nous repartons enfin. Conclusion de l'affaire, nous choisirons l'itinéraire en temps voulu et selon le feeling. Traduction : de longs et nombreux autres débats sont à prévoir. Sacré Pascal !




Sous le sommet, nous croisons à sens inverse un groupe de montagnards à l'accent familier... Perdue dans mes pensées, j'esquisse un sourire en pensant à mon "chez moi", à mes proches. C'est qu'ils sont en canne ces pyrénéens ! Il faut dire que là-bas, il n'y a pas de remontées mécaniques à tous les coins de rue et qu'il faut s'y accoutumer...


Le temps d'émerger de mes rêveries, j'atteins le sommet en compagnie de mes camarades de classe qui, de près ou de loin, sont devenus des compagnons de cordée fidèles avec qui je vis des moments incroyables. La descente, comme souvent, me laisse le temps de méditer... Virage après virage, la neige changeante me fait parfois des surprises et m'extirpe du songe dans lequel je suis plongé. A la fin de la descente, une seule conclusion est à tirer : la CHANCE !

Jeudi 24 mars 2022

C'est déjà la dernière étape de notre mini périple. Nos visages, abîmés par le soleil et cernés par la fatigue, portent en eux les traces de cette belle semaine. Nous savons tous que ces instants sont les derniers avant le retour en classe. Un sentiment nostalgique plane dans l'air. Toute bonne chose a une fin, même si elle arrive toujours trop tôt. 



Dernière réunion au sommet de la Pointe de l'Observatoire et il est grand temps de redescendre dans la vallée. Ces quelques jours sans réseau et coupés du reste du monde, ont permis de se recentrer sur l'essentiel. La montagne crée des relations qui n'existent que là-haut. La salle de classe, si indispensable soit-elle, ne prendra jamais ce rôle de "créatrice de liens forts". La corde qui nous relie dans ces moments reste intacte lorsque nous nous décordons. Cette union est si unique et indestructible qu'elle nous détache de tout jugement. Et heureusement, parce qu'au bout de quatre jours sans douche, il vaut mieux avoir de bons amis !