Visite Obligatoire - DIBONA

Après trois intenses semaines de boulot au refuge de la Bérarde, rythmées par les ampoules des randonneurs, les rappels coincés des grimpeurs et l'appétit inégalable des alpinistes, c'est à moi de prendre congés pour souffrir des pieds, coincer mes rappels et rentrer affamée...

Ce programme comble également Hugo et sans perdre de temps, nous enfilons nos baskets en direction du refuge du Soreiller.  Depuis quelques jours, nos yeux sont rivés sur la météo qui fait évidemment des siennes. Le refuge du Soreiller étant complet, nous comptons bivouaquer au pied de l'imposante face sud de la Dibona (ce sommet constitue l'objectif du lendemain). Lorsque nous apercevons sa silhouette au loin, des doutes quant à notre capacité à la gravir surgissent  soudainement. Cette aiguille à la fois esthétique et effilée, abrupte et imposante semble jeter un défi à l'audace des hommes. Nous sommes bel et bien déterminés à goûter à cette beauté brute, quelqu'en soit l'énergie à déployer.

Pour l'instant, notre seule mission se résume à mettre un pied devant l'autre  sans s'écrouler sous le poids de nos sacs avoisinant les 18kg.  La tente Décathlon premier prix ne participe pas à notre "light attitude" puisque ses mensurations sont bien trop importantes par rapport à la capacité d'accueil de nos sacs. On a d'ailleurs fini par l'accrocher à l'extérieur tout comme nos deux duvets, les cordes, ma Gore-Tex, mes claquettes... En fin de comptes, nous sommes plus larges que longs. Quoiqu'Hugo bat des records de hauteurs avec son sac qui est 50cm plus haut que lui. Les randonneurs que nous croisons nous prennent même pour les ravitaux du refuge du Soreiller, situé au pied de la Dibona. Il ne manquerait plus que ça ! 

A mesure que nous prenons de la hauteur, le ventilateur - agréable jusqu'ici - s'emballe exponentiellement. Connaissant les températures caniculaires de la vallée, nous ravalons nos plaintes mal placées et continuons à marcher. Très vite, le brumisateur se met également en route. Là, il devient plus difficile de se contenir. Les râleurs sont de sortie et le mauvais temps aussi. Tous les prétextes sont bons pour étaler sa mauvaise humeur. Nous sommes trempés, le refuge ne s'approche pas, les meilleurs emplacements de bivouac seront occupés lorsque nous arriveront et comme si cela ne suffisait pas, nos sacs semblent s'alourdir un peu plus à chaque pas... Ajoutons également que si l'imperméabilité de la tente Quechua est proportionnelle à son prix, il est fortement probable que nous ne dormions pas beaucoup. Quelle vie ! Mieux vaut passer ses vacances à la plage !

Le bruit d'un hélicoptère vient heureusement dévier notre attention. Nous le voyons treuiller deux personnes aux abords du refuge et repartir à toute vitesse. Un détail attire notre attention : ce n'est pas un hélicoptère de secours. Les hypothèses fusent : des riches qui s'offrent un tour d'hélico ? des blessés légers qui ne peuvent pas descendre ? ou les deux à la fois peut-être ? Nous ne le saurons pas mais n'allons pas tarder à les remercier... Vous allez comprendre !

Les gouttes s'intensifient dans les 200 derniers mètres. La tête baissée, nous comptons intérieurement les derniers lacets du sentier. La Dibona semble avoir revêtu son tricot noir, rincée par la pluie, ce qui lui donne un caractère plus impressionnant et moins accueillant que lorsque le granite est orangé.

Nous nous mettons à l'abri au refuge le temps que la pluie se calme. Je rencontre Marielle, la chaleureuse gardienne du refuge du Soreiller (perché à 2700m d'altitude).  Très vite, elle m'explique que deux personnes se sont désistées à la dernière minutes et que nous pouvons prendre leur place. Le sourire aux lèvres, je pars annoncer la nouvelle à Hugo qui est tout aussi ravi. Merci l'hélico !

Le lendemain, un premier lever à 5h nous permet de constater que, malgré nos espérances, la face est trempée. Aussi, les basses températures rendraient l'escalade compliquée : c'est l'onglet assuré ! D'un commun accord, nous repartons au lit. Ce n'est qu'à 7h que nous émergeons. Les premiers rayons du soleil illuminent notre voie. La mer de nuage qui recouvre la vallée n'a pas l'air de vouloir s'échapper mais pour nous, le ciel est bleu  et nous comptons bien en profiter !


Quelques jours auparavant, en établissant le programme, nous avons opté pour VISITE OBLIGATOIRE, une voie de 350 mètres et de 12 longueurs qui parcourt l'aiguille en son centre (léger droite). Son nom n'est pas un hasard et en dit long sur sa majestuosité qui la rend connue et parcourue. Les topos sont unanimes et s'accordent pour vanter sa beauté. Ils mentionnent tout de même l'exigence qu'elle requiert dûe à sa longueur et à sa cotation obligatoire dans le 6 bien tassé. Certains jours, il faut même faire la queue au pied de la voie et attendre son tour.

Nous sommes agréablement surpris de voir que malgré notre départ tardif, personne n'a encore franchi le seuil de la voie. Nous ouvrons le pas, aux alentours de 8h, plein d'excitation et d'impatience à l'idée de découvrir ce que nous réservent ces belles longueurs. "Chifoumi" pour savoir qui lance les hostilités, Hugo l'emporte. Il met ses chaussons et décolle du sol.

Les 150 premiers mètres sont avalés rapidement sans trop de difficultés. Nous sommes de plus en plus époustouflés. La pureté du rocher est incroyable et offre de belles dalles sculptées qui rendent la grimpe fine et technique. Nous partageons les cinq premières longueurs avec une cordée espagnole : un guide et deux clientes. Au relais, nous rigolons en comparant l'équipement moderne et abondant de cette voie et celui plus rustre des Pyrénées.  Nous en concluons sans trop d'hésitations que savoir grimper dans les Pyrénées donne des ailes partout ailleurs !

Surprise supplémentaire lorsque nous constatons que nous serons les seuls aujourd'hui à gravir cette voie. La chance nous sourit de nouveau. Après une petite erreur d'itinéraire, nous entamons la deuxième moitié de la voie. La septième longueur est vraiment majeure. Beaucoup plus physique que jusqu'à présent, elle réchauffe un peu nos corps refroidis par l'altitude.

L7 : la plus belle
Les deux dernières longueurs sont "plein gaz", 300 mètres de vide à gauche, 300 mètres de vide à droite. Notre marge technique dans ces longueurs nous permet d'apprécier leur beauté même si nous sommes loin de faire les malins. Je suis même bien contente que le tirage au sort du début de journée ne m'est pas envoyée dans la dernière longueur, sur le pilier sommital.

L12 : ultime longueur
A 14h, nous foulons le sommet. Heureux d'être arrivés au bout sans avoir "explosé" l'horaire, nous mangeons un bout sur nos 3m² de caillou. Le sommet n'est pas plus grand que ce qu'il n'y paraît du bas. Quelques éboulements résonnent du côté du Soreiller Oriental comme si la montagne voulait nous rappeler que notre place n'est pas ici. Perdus entre cet étonnant amalgame de beauté et d'hostilité, nous tournons les talons et prenons le chemin de descente après deux rappels plutôt chaotiques.

Petite photo au sommet avant de redescendre 
Les pieds de nouveau au sol, nous planons encore sur notre petit nuage. Quelle voie ! quel sommet ! Quelle journée ! quelle cordée ! La nuit va être bonne.
Quoique... Nous commençons à douter des capacités de notre tente lorsque nous la montons le soir venu. Le cadre est juste magique mais pour ce qui est du confort, il ne faut pas être difficile. La soi-disant tente deux places ne laisse pas rentrer facilement les choses... Il ne faut pas avoir beaucoup mangé le soir pour espérer rentrer à deux, même avec nos petits "mètre soixante" et "mètre soixante-dix". De toute façon, ce n'est pas la priorité : nous sommes affamés ! Au menu, des bons raviolis en conserve (notre spécialité). Après avoir digéré devant le soleil couchant, nous ne nous faisons pas prier et allons nous coucher des étoiles plein les yeux. 

Bivouac au pied de la Dibona

Le réveil retentit à 6h. Nos corps courbaturés émergent tranquillement sur nos matelas tout dégonflés. Le p'tit dej est avalé devant un panorama grandiose. Les sommets alentour arborent des teintes rougeâtres et le ciel ne laisse entrevoir aucun nuage. Dans la bonne humeur et au pas de course, nous rejoignons le pied de l'arête Sud du Pilier Occidental du Soreiller. Deux heures plus tard, nous serons au sommet, seuls au monde, atteignant le summum du bonheur. 



Pris à notre propre jeu, nous tombons dans une sorte d'hédonisme montagnard  qui transforme sans aucun doute l'effort en beauté. Notre émerveillement est tel qu'il donne un sens nouveau à ces "ascensions faciles" où la performance n'est pas le socle de l'expérience vécue. Il revalorise la montagne à sa juste valeur et force l'Homme à faire preuve d'humilité.