Couloir NE - Grands Moulins

Sur les skis depuis toujours, Hugo et moi avions tous les deux envie de découvrir une nouvelle facette de ce sport. Plus engagée certe, mais ô combien enrichissante ! Grand saut dans un inconnu qui nous attire depuis bien longtemps…

Le ski de pente raide relie à la fois les côtés physique (mes cuisses peuvent en témoigner), mental et intellectuel du sport. "Mental" parce qu'il faut réussir à mettre les skis dans la pente lorsque n'importe quel skieur "normal" descendrait à pied et "intellectuel" parce que la recherche d'itinéraire, la capacité d'adaptation et la concentration sont primordiales pour revenir entier le soir venu. 

Bien-sûr, de grands débats peuvent être ouverts pour élucider le plus grand mystère de cette pratique : à partir de quel moment pouvons-nous qualifier une pente de “raide” ?

En ce qui nous concerne, nous avons aujourd'hui mis les skis dans une pente bien plus raide qu'à notre habitude…

Hugo dans une pente inclinée à 45-50° (son coude en amont touche quasiment la neige)

Pour mener à bien cette expérience, Tim - un copain dans notre classe depuis 3 ans et photographe à ses heures perdues - nous propose l’ascension des Grands Moulins : un sommet qu'il voit presque de son jardin ! Lui connaît bien la massif de Belledonne et tout particulièrement ce sommet qu'il a fait par tous les côtés sauf... La face Nord-Est. Nous choisissons donc cet itinéraire côté 4.1, des cotations qui nous paraissent plutôt abstraites pour les novices que nous sommes. 


Après un réveil matinal dans le brouillard, nous avons le plaisir de nous extirper de la mer de nuages qui recouvre tout le Grésivaudan ! En un clin d'œil, une tempête de ciel bleu surplombe les alentours. 

Nous voilà lancés sur la longue piste forestière de Preslette qui, à cause du gel, ne nous permet pas de continuer en voiture jusqu’au parking qui devait normalement faire office de point de départ à notre sortie. C’est donc les skis aux pieds que nous rejoignons le “vrai départ”, 250 mètres en contre haut.

Au bout d’une bonne heure, nous sortons de la forêt et les choses sérieuses peuvent enfin commencer ! La première étape est de repérer du bas le couloir que nous allons emprunter… Pas si évident quand on est myope ! Heureusement, je peux compter sur mes deux camarades de qualité qui, en un clin d'œil, ont le tracé en tête. 

C’est le moment pour Tim de sortir son appareil de compétition et pour nous, de sortir nos plus beaux sourires.

Au fur et à mesure que nous prenons de l’altitude dans la face, un mélange d’excitation et d’appréhension émerge en perspective de la descente. Les pentes sont de plus en plus raides et nous savons tous les trois que la chute est, par endroit, impardonnable ! La neige, très dure voire glacée, ne joue pas non plus en faveur de notre tranquillité. Seul Tim semble impassible, scotché à son appareil pour ne rien louper !

Quelques heures plus tard, nous sommes sous le dernier ressaut sommital. Là, l’inclinaison de la pente ne nous permet plus de progresser les skis aux pieds. Le moment crucial de la journée est arrivé : ne rien faire tomber pendant les manips. Le premier qui perd un ski paye l’apéro (et redescend sur les fesses par la même occasion !). Bizarrement, personne ne semble tenté par cette option et le troc des skis pour les crampons s’effectue sans encombre ! 


Ça penche !
A 13h, nous foulons enfin le sommet des Grands Moulins et percevons pour la première fois de la journée le soleil. Le vent ne nous laisse malheureusement pas de répit et nous entamons rapidement la descente. Le plus dur reste à faire !

Capture d'un court instant au sommet avant que le vent nous chasse !
Aussi déroutant soit-il, le virage de ski dit “classique” est complètement inadapté et même dangereux dans ce genre d’inclinaison (au-delà de 40°). Hugo et moi devons donc rapidement nous accommoder à une méthode de ski bien particulière sous les conseils avisés de notre coach personnel préféré. En théorie, rien de bien compliqué, seulement un geste à maîtriser : le virage sauté. En pratique, entre la fatigue de la montée, l'appréhension, le froid, les ampoules… Tout devient beaucoup moins simple. 

Les yeux rivés vers le bas, je sens mon cœur battre à travers ma poitrine. On dirait bien que je découvre ce qu’est la peur en ski ! Oser engager un virage et mettre les skis dans la pente alors que la tête repousse le plus loin possible cette idée. Un combat acharné débute. Le corps ou l’esprit, l’engagement ou le retrait, l’action ou la passivité, le courage ou la peur… Chacun, à son niveau, est susceptible d’assister à ce genre de débat inconscient de son cerveau. Spectateur de nos propres pensées, nul ne sait comment il réagit dans ces moments-là. 

En plein dilemme...

Une fois le premier virage effectué, mon calme reprend doucement le dessus ! La sérénité des garçons m’épate même si je les sens très concentrés. Nous savons tous les trois que la chute n’est pas une option. Comme le dit explicitement le topo, “en cas de chute, la mort est probable” ! Rien de mieux pour skier en toute confiance !! :)


Une fois la partie raide passée, nous savons que le plus dur est derrière nous mais… pas le plus exposé au risque. 

Bien que ce passage soit moins raide que le précédent, nous allons encore devoir rester focus. Le mot d’ordre est “skier sur la réserve" (quitte à s’arrêter à chaque virage). En tout cas, interdiction formelle de tomber. Étonnement, le passage qui m’a fait cogiter toute la journée me paraît beaucoup moins raide qu’à la montée. Même si la concentration est à son summum, la partie délicate est avalée en moins de deux minutes et l’atmosphère se relâche aussitôt. La pression et les questionnements liés à ma capacité ou plutôt à mon incapacité à descendre s’évaporent immédiatement et je peux enfin respirer un grand coup ! 


Le sourire jusqu’aux oreilles, je crois que nous ne pourrions pas être plus heureux !

Pour rien au monde nous n’échangerions nos activités de “casse-cou” pour des sports communs et aseptisés. Malgré les clichés, nous ne sommes ni inconscients ni suicidaires. Bien au contraire, nous aimons tellement vivre que nous voulons profiter de chaque instant à 200% et c’est grâce à des journées comme celle-ci que nous nous sentons chanceux d’exister. Consommer la vie sans modération, je crois que c’est ça le secret pour être heureux. Décidément, je veux vivre toute ma vie !