Couloir de Gaube - Vignemale

Eté 2019 : ascension du toit des Pyrénées françaises par la voie normale. Sous le sommet du Vignemale, Yves et Claude me montrent la sortie du couloir de Gaube, une voie raide et engagée, réservée aux alpinistes expérimentés dixit leurs mots. Ils vantèrent au détour d’une conversation (qu’ils ont sûrement oublié depuis longtemps), les épopées de cet itinéraire historique. A ce moment-là, aussi impressionnée que fascinée, je me suis autorisée à rêver qu’un jour, je figurerai sur la liste des ascensionnistes du Gaube. La graine était plantée…

Depuis ce jour, quelques printemps ont défilé. En constatant les quantités de neige extraordinaire de celui-ci la semaine dernière, ce vieux rêve a ressurgi de façon inattendue. Contre toute attente, tout semblait s’aligner : le créneau, les conditions et la météo. A un détail près que tout mon matos hivernal était dans les Alpes, loin d’imaginer sortir les skis fin mai dans les Pyrénées… Erreur ! 

La première étape a d’abord été de troquer tout le matériel nécessaire contre un grand sourire. La récolte fut fructueuse : skis de maman, piolets et crampons de papa, bâtons de lilou… En ce qui concerne les chaussures de ski, il a fallu choisir entre du 38 et du 42 et quand on fait du 40, le choix est vraiment dur. J’ai finalement opté pour les plus grandes. 

Après avoir vidé les placards de ma maison, j’ai appelé Yannick et Vivien pour leur proposer la sortie. Je savais qu’ils avaient aussi envie d’aller dans le Gaube. Cette étape a été beaucoup plus simple que la précédente puisqu’ils ont tout de suite accepté.

C’est donc de cette manière que je me suis retrouvée cette nuit du 24 mai 2024 à tenter de trouver le sommeil dans le petit dortoir du refuge des Oulettes de Gaube. Ne fermant pas l'œil de la nuit, j’ai eu le temps de réfléchir à ce que j’allais bien pouvoir vous raconter dans cet article. J’ai pensé à vous partager nos doutes quant au fait de partir avec les skis sur le dos pendant que des familles bronzaient au bord du lac de Gaube. J’aurais aussi pu vous raconter l’étonnement de ces mêmes gens en voyant notre allure, ne comprenant pas où nous allions poser les semelles de nos skis à part sur l’herbe… Mais à ce même instant, j’essayais péniblement de tomber dans les bras de Morphée et de penser à rien si ce n’est dormir. Evidemment, je n’ai jamais réussi... Bercée par le concerto de ronflements des uns et des autres, j’ai tenté en vain de baisser le son. Il n’y avait rien à faire contre ce vacarme qui fracassait les décibels. Je ne sais pas si l’union fait la force mais pour sûr, elle fait du bruit ! Le disque défilait sans jamais s’arrêter. Certaines mesures en cœur, d’autres en canon, cette mélodie commençait sérieusement à me taper sur le système. Heureusement pour moi, le réveil a sonné à 2h du mat’ et l’avantage, c’est que je suis vite sortie de mon sommeil !
A partir de ce moment-là, le temps qui jusqu’alors s'étirait, a filé à toute allure. Le regel partiel et les quantités de neige fraîche importante ne nous ont pas facilité la tâche. Heureusement, Yannick a fait office de tracteur-dameuse dans les pentes de neige ! L’avantage, c’est qu’une fois que sa centaine de kilos a écrasé la neige, je ne m’enfonce pas plus dans les traces. 
La première partie est avalée rapidement mais nous brassons énormément dans le deuxième tiers, ce qui ralentit fortement notre progression. Le soleil commence à réchauffer les pentes sommitales et nous recevons en quasi continuité, glace et caillou sur le corps. Il ne faut pas traîner ! 
Au niveau du fameux bloc coincé, je passe devant. Les conditions sont un peu particulières puisqu’il y a à la fois trop de neige pour poser des friends et trop peu de placage pour brocher. Je fais donc du jardinage pour essayer de dégager quelques fissures et me protéger. La dernière longueur est aussi très pauvre en glace. Un fin placage au fond d’une cheminée me permet de sortir sur le glacier d’Ossoue. Les copains me rejoignent, épuisés mais heureux. Les doutes et la pression s’évaporent enfin.

L’émotion est palpable. J’ai tout de suite une pensée pour la discussion entretenue avec Claude et Yves quelques années auparavant. Plus qu’avoir “coché” une voie, je me sens chanceuse d’avoir pu réaliser un rêve de gosse. Je ne me voyais pas vous raconter froidement cette ascension sans vous parler de l’histoire à laquelle elle est rattachée. Mettre à l’honneur ces faiseurs de rêves, passeurs d'histoires, ceux qui ont décroché des étoiles pour me les mettre dans les yeux, est une manière de les remercier. Il y a eu Yves et Claude bien-sûr, mais nombreux sont ceux qui ont entretenu ce feu intérieur, cette quête inexplicable, celle de poursuivre ses rêves.

Merci à mes copains de cordée pour ce week-end, tout ça c’est aussi grâce à vous !
Photo de Grégoire Eloy

📸 Yannick Delqué