Avec Lara, c’est toujours la même histoire ! Trouver quelques jours en commun sur nos agendas de ministre tient du miracle… Ensuite, on fait tellement de plans qu’ils ne rentrent pas sur la même comète. On part dans tous les sens, on s’éparpille, traversées par un flux continu d’idées en tout genre. Il faut dire que les possibilités sont nombreuses, ce qui ne facilite pas la prise de décision. Falaise ? Grande voie ? Alpi ? Finalement, c’est un premier arrêt à l’Ossau qui nous sert de sas de décompression, le temps de faire le tri.
Soleil Noir - Ordesa
Les deux heures de voiture nous permettent de choisir notre chantier du lendemain. Non sans doutes, nous jetons notre dévolu sur "Soleil Noir", une voie de 500m cotée 7a+ max et non-équipée à la Muraille de Gallinero.
Après un bivouac express sur les trottoirs du parking d'Ordesa, nous entamons la marche d'approche dans l'obscurité. Heureusement, Lara connaît les lieux comme sa poche : elle a déjà grimpé plusieurs fois dans le coin. C’est même elle qui a insisté pour venir ici. Facile à convaincre, je l’ai suivie sans trop chercher à comprendre pourquoi elle tenait tant à cet endroit.
La veille, nous avions convenu qu'elle ouvrirait la marche grimpe dans la première partie de la voie. Son rôle serait de jouer le GPS pour trouver astucieusement le chemin entre les gros blocs de calcaire orangés. Je prendrai ensuite le relai dans la deuxième moitié et serai chargée de forcer le passage de l'énorme toit. Je poursuivrai par les longueurs suivantes en tentant de ne pas nous égarer.
La journée s'annonce laborieuse... Au pied de la voie et à la vue du chantier qui nous attend, difficile de ne pas se laisser déstabiliser… Chacune ravale pourtant ses doutes sans les partager à l'autre. Les mots se raréfient, ce qui en dit long sur notre assurance ! Pour compenser, 5kg de matos sont accrochés aux fesses de Lara qui s'élance dans les premières longueurs.
Arrive le moment où nous ne pouvons plus reculer. Les grandes longueurs en traversée réduisent à néant la possibilité de réchapper. Il va falloir sortir vers le haut, quoiqu'il arrive !
Chaque piton croisé – aussi rouillé soit-il – devient un précieux repère. Savoir que d'autres sont passés avant nous a quelque chose de rassurant, même si le toit qui nous surplombe est de plus en plus terrifiant à mesure que nous nous en rapprochons.![]() |
Lara, minuscule sous cet énorme toit |
Après une grande inspiration et sans trop réfléchir, je me lance dans l'artif du toit. Finalement bien concentrée et guidée par les conseils de Lara, j'atteins le haut de la longueur et me remet à grimper dans le 6c. Le gaz sous mes pieds me fait serrer démesurément les prises mais le relais arrive heureusement avant que mes avant-bras ne me lâchent ! Oufff le crux est passé. Enfin, nous savons que la journée est loin d'être terminée mais savourons quand même cette petite victoire.
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Ça penche !!! |
Il faut reconnaître que l'espèce humaine est parfois difficile à cerner, capable de se mettre elle même dans de drôles de situations (qui plus est pendant les vacances) !!
Les longueurs suivantes, toutes aussi grimpantes les unes que les autres, me donnent du fil à retordre. Après 9 heures sur la paroi, je brûle mes dernières cartouches dans le 6c du haut. Lara reprend le lead dans l'ultime longueur en 5+++.
La sortie sur le plateau est libératrice, partagées entre la fierté d'avoir mené à bien cette bataille et le soulagement d'en être venues à bout. Nos têtes - cheveux en bataille et cernes jusqu'au cou - en disent long sur la journée que nous venons de passer.
A cet instant, je compris intérieurement l'attachement que Lara portait à ces lieux. Ce genre d’endroit où la magie opère sans qu'on ne comprenne vraiment pourquoi.
Se retrouver encordée à elle a quelque chose de symbolique. C'est en sa compagnie que j'ai fait mes premiers pas à l'Ossau, traversé le Haut-Atlas marocain à pied ou encore saucissonné pour récupérer ses pitons dans les voies oubliées du Caroux. Depuis ces aventures, de l'eau a coulé sous les ponts. Lara a parcouru la planète à vélo tandis que j'ai vadrouillé en quête de verticalité. Les milliers de kilomètres nous séparant ne l’ont pas empêchée d'être présente, à travers ses conseils et ses encouragements.
Rares sont les cordes qui ne s'usent pas avec le temps. Celle qui nous relie demeure intacte, bravant ce monde fait de mouvements.